Orgueil et préjugés
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le 23 oct. 2015
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Dans le sillage des films racontant les origines de certains super-héros et celui des préquelles en veux-tu, en voilà, il n’est guère surprenant de voir débarquer sur grand écran une histoire des origines de Peter Pan. Sauf que loin d’éclairer sous un nouveau jour le récit bien connu de James Matthew Barrie, Pan ne fait qu’introduire une succession d’incohérences avec le matériau original et des questions qui ne semblent pas devoir avoir de réponses. La voix off qui ouvre le film promettait pourtant une intrigue plus alléchante : on était censé découvrir non seulement comment Peter est devenu Peter Pan mais également comment ceux qui étaient ennemis au départ devinrent amis, et ceux qui étaient amis devinrent ennemis. La suite ne remplit qu’une partie du contrat. Lorsque le générique de fin apparaît à l’écran, on est laissé sans le moindre indice pouvant expliquer comment et pourquoi Peter et Crochet deviendront ennemis. De même, on ne saura pas qui sont ces ennemis censés devenir amis, et il paraît peu probable, au vu du final, que Barbe-Noire revienne en tant qu’ami de Peter.
Malgré un début intriguant, on a très vite l’impression que Pan a été conçu comme un vaste parc d’attractions censé amuser les enfants en faisant fi de toute logique, comme si le jeune public pouvait se passer d’explications et d’une intrigue suffisamment vraisemblable, et où le bruit et l’action à tout-va sont de rigueur. Les personnages sont plus souvent en train de crier que de parler et lorsque ce ne sont pas eux qui sont la source du boucan, on nous sert une composition musicale mâtinée des Ramones et de Nirvana (pauvre Kurt Cobain !) qui se révèle particulièrement bruyante, omniprésente, et bien peu évocatrice du Pays imaginaire. Si tous les éléments de ce dernier (sirènes, Amérindiens, pirates, fées, sans oublier le crocodile) sont là, ils tiennent plus des gentils animateurs déguisés des parcs d’attraction pour les uns — c’est particulièrement vrai des Amérindiens qui, loin des Peaux-Rouges imaginés par Barrie, ressemblent à une bande d’aficionados des costumes à plumes colorées façon perroquet —, et des effets spéciaux faciles pour les autres, que de créatures et de peuples d’un autre univers auxquels on pourrait croire. Le grotesque, dans le mauvais sens du terme, domine bien plus que de raison dans cette relecture décidément bien loin de l’œuvre de Barrie et de ses adaptations les plus réussies.
Parmi les choix plutôt étranges du réalisateur et de son scénariste, on s’étonnera de voir l’histoire se situer non pas dans l’Angleterre victorienne du XIXe siècle mais à l’époque de la Seconde Guerre mondiale, d’autant que ce changement n’apporte pas grand-chose au film, si ce n’est de servir de prétexte au spectacle d’un navire de pirates volant poursuivi par des avions de chasse de la RAF au-dessus de Londres. De toute évidence, la référence à la Seconde Guerre mondiale n’est là que pour rapprocher ce Pan d’une œuvre bien connue des jeunes spectateurs, Narnia, où là aussi les jeunes héros vivent en Angleterre à l’époque de la guerre et se retrouvent transportés dans un autre monde peuplé de créatures merveilleuses. Seulement là où les réalisateurs chargés d’adapter Narnia sur grand écran prennent soin d’inclure de vrais moments de respiration et de dévoiler leur monde progressivement, au rythme de l’exploration des jeunes héros et de leur évolution, Pan va trop vite, confond action épique et trépidante avec pétarade et échoue à véritablement nous rendre sympathique son héros. Car le Peter qui deviendra le mythique Peter Pan est ici un marmot qui n’a qu’une idée en tête : retrouver sa chère maman. Certes, il s’agit d’un objectif louable et compréhensible de la part d’un enfant qui a grandi dans un orphelinat digne des romans de Charles Dickens (autre référence convoquée dans le premier tiers du film), mais le leitmotiv devient vite horripilant, et on a du mal à reconnaître dans ce Peter le très malicieux Peter Pan qui sait si bien tourner en bourrique le Capitaine Crochet et ses pirates. Quant à Crochet, le voici donc non plus authentique marin mais jeune homme aux origines inconnues, obligé de travailler dans la mine de Barbe-Noire, pendant que ce dernier tient le rôle de redoutable pirate sanguinaire, déterminé à massacrer les fées et à asservir tous les enfants du monde.
Dans ce rôle, la performance de Hugh Jackman est saisissante. Il fallait bien un acteur aussi charismatique pour rendre effrayant et non pas simplement ridicule ce personnage à l’allure grotesque : chauve, portant perruque, les yeux cernés comme un drogué, moustache, barbichette et boucle d’oreille de conquistador, et vêtu de costumes étranges à mi-chemin entre la tenue des conquistadors et la jupe à traîne des robes du XIXe.
On ne saura pas cependant comment le terrible pirate, connu pour avoir écumé les Caraïbes, a atterri au Pays imaginaire. Comme pour Crochet, les origines du personnage semblent se perdre dans les limbes.
Au compte des explications absentes qu’on aurait aimé avoir, il y a aussi ce détail de taille : comment les navires de Barbe-Noire peuvent-ils voler ? Comment peuvent-ils naviguer entre le Pays imaginaire et l’Angleterre du XXe siècle ? Alors que dans l’œuvre originale de Barrie, il n’est possible de voler que grâce à la poussière de fée, ici on est laissé dans le noir le plus complet. Le seul pouvoir attribué à la poussière de fée est celui de garder la jeunesse éternelle, raison pour laquelle Barbe-Noire tient tant à s’en emparer.
Au final, malgré des pointes d’humour rendant le film relativement supportable à regarder, Pan demeure largement indigeste et décevant, délaissant trop vite le développement des personnages et la description d’un monde autre pour une action qui, à force d’être partout, perd de son intérêt. On lui préfèrera à juste titre le bien meilleur téléfilm en deux parties de Nick Willing, Neverland, diffusé pour la première fois en 2011 avec l’excellent Rhys Ifans dans le rôle du futur Capitaine Crochet.
Créée
le 28 oct. 2015
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