Illusions perdues
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le 21 sept. 2014
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“Panique” est une adaptation des Fiançailles de Monsieur Hire par Julien Duvivier sortie en 1947. Il y songeait déjà quand il était aux Etats-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale. Il en était revenu écoeuré par les atrocités de la Seconde Guerre mondiale, mais aussi agacé par l’industrie cinématographique hollywoodienne. Rejetant notamment l’obligation de “Happy End”, il souhaitait faire un film vraiment noir. Il s’est appuyé sur la nouvelle de Georges Simenon pour traiter ses obsessions : l’injustice du sort des innocents et la cruauté veule des foules. Il livre en fait en filigrane une dénonciation de la collaboration avec les nazis (il sème des indices dans les dialogues, ou encore dans le décor comme le café appelé “Le Petit Caporal” ou le bus qui va de Villejuif à la Gare de l’Est (je n’invente pas cette idée, elle est développée par Thomas Pillard dans Le film noir français). Il rejette aussi le réalisme poétique qui fut naïf avant la guerre, combinant des clins d’oeil aux films (l’immeuble du “Jour se lève”, les autos tamponneuses du “Quai des Brumes”) et une inversion des valeurs de l’amour romantique, puisque les amants ne sont plus les victimes du destin mais les instigateurs de la chute du malheureux solitaire Monsieur Hire.
Malheureusement, cela ne passe pas. Premièrement, les ressort sont amenés sans subtilité et sans poésie. Le message est asséné par des dialogues trop explicites et sans charme. Le comportement de la foule est caricatural, ce qui est renforcé par le mauvais jeu des acteurs secondaires. Et les détails que le réalisateur veut qu’on remarque sont lourdement soulignés à coup de gros plans et de zooms brutaux.
D’ailleurs, c’est le deuxième problème de ce film, la mauvaise qualité de l’image et de son (probablement renforcés, certes, par une copie de mauvaise qualité), avec des bruits censés rester à l’arrière-plan qui sont assourdissants et des cuts violents. Toutefois, ces défauts sont curieusement concentrés sur des scènes de jour. Il reste de beaux plans, notamment celles dans l’escalier, avec des contre-plongées aux ombres allongées, qui tirent le meilleur de l’expressionnisme. Et celle où les gens s’acharnent sur Monsieur Hire à coup d’auto-tamponneuses est bouleversante. De toute façon, Michel Simon est toujours excellent. D’ailleurs, le jeu de Viviane Romance est aussi subtil ici : on lit dans son regard l’hésitation qui grandit à condamner un homme certes étrange, mais gentil, et à la vie intérieure si riche.
J’ai donc eu l’impression que Julien Duvivier essayait de me faire passer un message sur la noirceur de l’âme humaine avec une maladresse, et une littéralité indignes de lui.
Si vous voulez en savoir plus sur le réalisme noir et sur les films d'atmosphère, vous pouvez lire mon blog.
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le 11 nov. 2019
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