La jeunesse algérienne se voit faire le cadeau d'un double héritage mémoriel : elle aura connu, grâce à ses aïeux, les récits sanglants et bouleversants d'une guerre de libération qui sera marquée au fer rouge dans leur mémoire. Moins de 30 ans après son indépendance, l'Algérie connaîtra une autre ère tout aussi dramatique. Certains, car enfants durant cette période, n'en ont que des souvenirs fugaces et imprécis tandis que d’autres, plus jeunes, se verront recevoir les souvenirs poignants de leurs parents concernant la terrible guerre civile qui déchira le pays durant les années 90.


Le film Papicha, qui met en avant Nedjma, jeune étudiante passionnée de mode assistant à la montée du terrorisme et la dissolution de son pays fut interdit dans les salles d’Alger. L’Algérie s’obstine à refuser de voir ou entendre tout ce qui pourrait témoigner du terrible climat de tension caractéristique de cette époque, comme si son horrible spectre viendrait la hanter encore une fois. Elle ignore encore que c’est là le pire moyen pour surmonter ce que l’Histoire lui a fait connaitre de plus sombre : elle peut cependant compter sur sa jeunesse fougueuse qui s’est fait la promesse de changer la donne.


Mais dans ce film, qui se veut pourtant le serment d’une vérité qui tarde tant à éclater, que fait Mounia Meddour à part nous bombarder inlassablement de clichés aussi grotesques les uns que les autres : A Alger, ce n’est pas du sang qui coule dans leurs veines mais bien évidemment du thé à la menthe, leur jeunesse hurle dans ses rues « 1,2,3 viva l’Algérie », leurs femmes se contentent toutes d’un rouge à lèvre bon marché et ils ont de grandes chances de développer précocement un diabète vu que la seule chose qu’ils semblent apprécier sont les gâteaux traditionnels (à noter qu’ils mangent toujours la bouche grande ouverte et essuient leurs doigts poisseux sur leurs vêtements). Bref, le stéréotype de l’arabe ne pourrait être mieux réussi, ce qui est tristement le seul mérite de ce film : tout est peint grossièrement et avec un horrible manque de finesse. Mounia Meddour offre donc avec beaucoup de générosité de quoi alimenter les idées préconçues qu’a le monde occidental sur les maghrébins.


Papicha se veut inspiré de faits réels. Pourtant, plusieurs réalités sont occultées ou remodelées à souhait : Des milliers de civils furent tués sans distinction d’âge, de sexe ou de profession durant cette décennie. Où sont donc enfants, femmes, intellectuels, maquisards ou forces de l’ordre dont aucun ne fut épargné durant ces années ? Où est le terrible clivage politique et économique qui entraîna avec lui toute la population tel un raz de marée ? La réalisatrice remplace donc toute cette frange de la société par des jeunes filles non voilées résidant en cité universitaire dans le seul but de donner de la puissance à son scénario qui n’en demeure pas moins fade. Lors d’une interview, cette dernière confie qu’elle porte en elle ce film depuis déjà 15 ans. Il semblerait malheureusement que durant ces longues années sa mémoire lui ait fait défaut : Il serait bon d’inviter Mounia Meddour à réellement revoir l’Histoire d’une Algérie qui lui semble si chère mais dont elle ignore pourtant presque tout.


Le désir de combler le terrible creux scénaristique se manifeste à travers une mise en scène qui ne manque pas de s’apparenter à la tragédie classique (notamment la scène du hammam). Malheureusement, à défaut de nous rappeler très brièvement le fameux « A mon âge je me cache encore pour fumer », cette séquence confirme encore une fois que l’on peine à sortir de ce cadre dramatique pourtant si vide.


Le montage est bâclé et inégal; les plans qui s’entrechoquent et sont supposés être le reflet du rythme de vie saccadé et incertain des personnages n’ont que pour unique effet de donner une impression particulièrement gauche et maladroite des événements. Sans compter la musique qui parait presque choisie à la dernière minute tant elle parait banale (Zina de Raïna Raï ne se présente effectivement pas comme un choix vraiment original ou même adéquat).


Cependant, le film semble véritablement toucher le fond lors du meurtre d’un personnage qui disparaît aussi vite qu’il n’apparaît (et qu’on oublie donc bien rapidement). On assiste alors à une scène presque chirurgicale et très mal amenée, ce qui ne fait que renforcer l’inhabilité du film à restituer toute émotion.


Lyna Khoudri, seule lumière qu’on peine à percevoir tant le jeu des autres acteurs est accablant (on pense à Shririne Boutella qui ne manque pas de frôler le ridicule à plusieurs reprises) arrive à donner un semblant de chaleur au personnage qu’elle incarne. La détermination et l’ambition de Nedjma ne sont pourtant que le reflet de tous les maux, toutes les angoisses et préoccupations de sa jeunesse qui souffre de voir son pays se briser sous ses yeux impuissants. Elle exorcise son malheur à travers la couture presque comme si elle s’appliquait à se planter une aiguille dans le cœur, non pas pour qu’il s’arrête mais pour qu’il batte plus fort.


Pour un premier film, le travail de Mounia Meddour n’est guère prometteur : On se demande si pour son prochain long-métrage, Houria (qui a encore pour toile de fond la guerre civile algérienne) la réalisatrice finira par réellement se documenter sur les événements passés nous épargnant ainsi la maladresse évidente de Papicha.

carnetdusoleil
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le 2 août 2020

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