Après sa version des Trois mages avec laquelle j'ai peut-être été un peu méchant (visiblement pas ma came ce conte de Noël), j'ai longtemps hésité à voir d'autres films de Satoshi Kon pourtant d'excellente réputation dans le paysage de la japanimation. Mais dès le début, cette mauvaise impression s'est dissipée, tellement l'expérience onirique que Paprika propose déborde de créativité visuelle, au service d'une intrigue du style d'Inception qui explore la frontière entre rêves et réalité à l'aide d'une machine qui ressemble à notre technologie de la 3D ou de la réalité virtuelle afin de guérir les traumatisés de leurs démons personnels, récupérée ensuite par des terroristes malveillants.
Il faut d'ailleurs un peu de temps avant de recoller les morceaux d'une histoire où l'expérience prend le pas sur l'explication qui, si elle n'est pas totalement absente, ne vient pas encombrer le fil directeur qui s'appréhende d'abord comme un rêve éveillé. Et c'est bien là où à mon avis ce film réussit là où Inception s'était un peu planté, en bossant avant tout l'univers graphique des voyages oniriques et la sensation de s'y perdre, sans tenter de trop rationaliser son propos. Les allers-retours sont ainsi vraiment jouissifs, car il semble qu'il n'y a aucune limite, et Paprika, un mystérieux avatar de l'autre monde, semble en profiter à fond en se métamorphosant constamment à l'intérieur des rêves qui eux-mêmes changent en fonction de la psyché de leurs hôtes, créant ainsi des univers complètement fous, mais qui évoquent aussi des fantasmes très familiers (comme le rêve du policier qui est un hommage puissant et délirant à tous les archétypes du cinéma, et révélera par la suite un lien fort avec l'histoire en cours où les personnages se connecteront de nouveau avec la réalité).
Le trait graphique de Kon est très particulier et ne fera peut-être pas l'unanimité, où le beau et le grotesque se côtoient en tant que porte-paroles physiques (dans la réalité) ou psychologiques (dans les rêves) de la personnalité des personnages. La coquille est donc loin d'être vide, révélant un fond d'ailleurs pas aussi difficile d'accès qu'on pourrait le croire, où le voyage onirique qu'on nous propose est l'occasion d'explorer visuellement les thématiques de l'inconscient, de l'alter-ego, des rêves de grandeur (voire de mégalomanie), et des dérives de la fiction lorsqu'elle prend le pas sur la réalité via les possibilités illimitées qu'elle offre. A l'instar de Miyazaki et d'autres auteurs de l'anim' japonaise, les dangers de cette technologie sont fortement évoqués, mais sans manichéisme. Cette menace prend ici la forme d'une volonté qui contamine tous les esprits, produisant alors des envolées baroques avec des défilés humanoïdes où le rêve et le cauchemar s'entremêlent d'une manière fascinante et terrifiante à la fois. Une présence incarnée par un personnage bien plus ambigu que le grand méchant lambda habituel. Il s'agit en effet d'un idéaliste désirant protéger ce lieu sacré des intrusions, mais qui se retrouvera lui-même pris au piège de cette réalité où tout paraît démesuré et qu'il ne vaut mieux pas essayer de contrôler, peu en importent les intentions.
Complexe, Paprika l'est assurément. Mais il laisse suffisamment de pistes sans éventer tout le mystère qui l'habite, pour contenter l'amateur de théories et d'interprétations symboliques. Un véritable OFNI au sein de l'animation japonaise dominée par les studios Ghibli extrêmement riche et inventif, qui propose une belle métaphore sur l'évasion vers les rêves qui peuvent autant être l'occasion de libération des contraintes (le nom Paprika, aux consonances exotiques et plein de surprises, représente un peu tout ça), de thérapie (le policier qui tente de surmonter son trauma), mais aussi le lieu où les désirs frustrés peuvent devenir synonymes de folie de grandeur, et qui échappent par nature à toute emprise. Un chef-d'oeuvre du genre que je conseille à tous, et qui file la banane en nous laissant, à la fin, auteurs de notre propre existence, tout en posant la possibilité de l'interconnexion entre des âmes auxquelles on aurait pas forcément pensé au début. En plus c'est assez court, la musique qui évoque cette frénésie des rêves est juste terrible, et la fantasque Paprika vaut le détour à elle seule.