Dernier acte de la trilogie Paradis, Paradis : espoir est le segment le plus abordable, le moins féroce du lot. C’est Melanie, la fille de Teresa (et donc la nièce d’Anna Maria), qui va servir cette fois de sujet d’études à Ulrich Seidl. Abandonnant un registre plus critique que dans Paradis : amour (le tourisme sexuel) et Paradis : foi (la religion), Seidl livre ici une chronique adolescente désabusée (parents démissionnaires, mal de vivre, alcool et oubli de soi) avec, comme nouvelle héroïne, une jeune fille de 13 ans partie en vacances d’été dans un centre d’amaigrissement et qui va tomber "amoureuse" du médecin en charge, sorte de vieux beau à la cinquantaine grisonnante.
Le film met souvent mal à l’aise parce qu’au-delà du fait que Melanie n’ait pas conscience de son comportement (voir également la scène dans le bar où un garçon s’apprête quasiment à la violer alors qu’elle est saoule) et des conséquences que celui-ci peut avoir, le médecin, en revanche, semble hésiter à franchir le pas, tiraillé entre désir interdit et devoir de moralité. Melanie ne cherche pas uniquement à maigrir, elle cherche d’abord une forme d’amour, imprécise, comme toute adolescente s’éveillant aux émois de la sexualité (on parle, dans les chambres, de premier baiser et de première pénétration, de fellation et d’épilation…). Et s’il faut pour cela s’enticher d’un monsieur aux jolis yeux bleus, alors elle le fera, sans réfléchir.
Mais sa touchante naïveté se transformera vite en amère désillusion, et Seidl, en parfait entomologiste qu’il est, ne ratera rien des cahots et de l’échec de son parcours (initiatique ?). Sa longue pratique du documentaire se ressent à chaque instant (c’est valable pour les trois films), dans l’immobilité géométrique (et objective) des cadres, dans le jeu naturel, débarrassé de superflu, des acteurs, et dans le simple enregistrement des faits qui ne cherche ni à statuer, ni à tromper. Il va même jusqu’à transformer, ironiquement, le camp en une espèce de colonie pénitentiaire perdue dans la forêt (architecture austère, couloirs vides et inquiétants…), de monde en vase clos ouvert à toutes les dérives et à toutes les interprétations.
On pensera, pourquoi pas, à Salò quand l’adipeux coach sportif (un ogre) emmène ses élèves dans une salle d’entraînement en leur annonçant "Bienvenue dans la chambre de tortures", ou quand il punit les mauvais éléments ou mime des coups de fouet en plein exercice physique. On pourra voir aussi en Melanie, dans un accès certain de cynisme et de pessimisme, une future sugar mama comme sa mère (obésité prononcée, amours contrariées) ou une future illuminée comme sa tante (désillusion sexuelle et existentielle) ; Seidl clôt d’ailleurs sa trilogie par un plan plutôt banal, triste, avec Melanie de dos face au vide qui l’attend, comme vaincue, assise à une tablée sous l’autorité de ses éducateurs. Si espoir il y a, alors c’est un espoir déjà perdu.