Un an après le mystérieux et fantasmagorique Burning, le cinéma coréen nous offre un nouveau film sur les rapports de force qui résultent d'une société aux inégalités béantes. Mais là où Lee Chang-Dong plongeait le spectateur dans une atmosphère poétique et aigre-douce, Bong Joon-Ho livre une partition tonitruante mêlant film social et comédie avec des pointes de thriller aux touches horrifiques.
Véritable chimère, Parasite est un spectacle à la fois totalement imprévisible et parfaitement maîtrisé. Dès le départ, le film nous prend à contre-pied, en mettant au coeur du récit non pas une pauvre famille de déclassés soumise aux dures lois du capitalisme, mais des personnages à la volonté inébranlable et aux intentions contrastées, prêts à tout pour sortir de leur situation. Etape par étape, selon une mécanique implacable, nos protagonistes, dont l'excellent Song Kang-ho, parviennent à s'incruster dans la luxueuse demeure et la vie intime d'une riche et naïve famille de Séoul.
L'inventivité et la créativité déployées par ces "parasites" sont absolument fascinantes et rythment le récit selon un tempo implacable. Pourtant, peu à peu, et en toute logique, la mécanique s'enraye, le plan savamment conçu ne se déroule pas comme prévu, et l'histoire implose en mille morceaux. La dernière partie du film laisse éclater toute la brutalité et la cruauté de la société coréenne, au risque parfois de l'invraisemblance et de l'absurde.
Toute cette extravagante partition est rendue possible grâce à une esthétique tout en contraste (la maison d'architecte/le logement en entresol, la symétrie parfaite des intérieurs/les courbes labyrinthiques des sous-sols, la lumière baignant cet univers luxueux/l'eau poisseuse des égouts envahissant les bas quartiers) et des interprètes qui ne cessent de se métamorphoser, à commencer par le remarquable Song Kang-ho, capable d'exprimer la colère, la joie et la tristesse dans une même expression de visage. Un film détonnant et étonnant donc, qui mérite pleinement la Palme d'Or.