Belle revanche que celle prise par Bong Joon Ho sur le Festival de Cannes. Après s’être fait bouder son Okja il y a deux ans pour cause d’achat du film par Netflix (on va pas vous refaire l’histoire), il revient cette année avec un long-métrage en compétition officielle et repart avec la Palme d’or, rien que ça. Si Okja avait été perçu comme le parasite du festival, Parasite, lui, en ressort comme le remède au marasme dans lequel s’embourbe son prix le plus prestigieux depuis quelques années. L’ironie est délicieuse, et la palme, grandement méritée.
Anti-social
Oubliez tout le toin-toin autour du #Dontspoilparasite et sur le soit-disant fait que l’on ne pourrait parler du film pertinemment sans en gâcher l’expérience. Difficile de savoir si tout cela est un pur coup marketing ou juste une précaution un poil sortie de ses propensions, mais il est en réalité tout à fait possible d’aborder en profondeur le nouveau rejeton de Bong Joon Ho sans en révéler les quelques twists scénaristiques. Ceci car l’essence même de Parasite se situe entre ses lignes narratives, dans le portrait de société qui se dessine progressivement pendant 2h10, en faisant appel à tous nos sens de spectateur. Qui est donc le parasite du titre ? Cette famille dans le besoin qui, par le biais d’une arnaque savamment montée, pénètre de l’intérieur la demeure d’une haute lignée bourgeoise ? Ou bien cette famille aisée noyée dans le confort et l’argent, incapable d’empathie, autant envers les autres qu’envers eux-même ?
La famille Ki-taek fait partie de cette classe sociale que l’on relègue au sous-sol, dans les tréfonds de la ville, là où l’on déverse la pisse et l’eau souillée des égouts. Leur appartement se trouve sous terre, on leur marche littéralement dessus et leur quotidien consiste essentiellement à tenter de capter les bribes d’un extérieur au sein duquel ils ne peuvent trouver leur place. Comme le montre cette recherche désespérée du wifi, devenue l’activité familiale n°1. En nous introduisant à cette famille, le cinéaste prend le contre-pied de la tendance globale d’un cinéma dit « social » en ne versant à aucun moment dans le misérabilisme. Il s’attache même à retranscrire cette vie précaire avec une certaine légèreté, qu’il opposera à la sophistication aseptisante de la famille Park. Parasite raconte le soulèvement de ces laissés-pour-compte à travers leur prise de contrôle sur cet extérieur inaccessible, représenté ici par la maison des Park, apothéose symbolique de tout ce qu’ils ne possèdent pas. Mais il le fait, non pas avec le sentiment de justice morale que l’on peut retirer de nombreux films à caractère social, mais avec un anti-manichéisme profond, révélant ainsi toute la complexité et les paradoxes de l’homme et de sa société.
The Hosts
L’une des forces du film est donc son refus de toute binarité ou démagogie, en ne montrant pas les riches comme des « méchants » et les pauvres comme des « gentils » mais en mettant au contraire en place un jeu de miroir déformant redéfinissant constamment le positionnement empathique du spectateur. Aussi moralement douteuse et vénale que soit la famille Ki-taek, le lien de solidarité les unissant nous touche. Et si attentionnée et dévouée envers ses enfants que soit la famille Park, une hypocrisie mutuelle semble régner entre eux et chaque échange paraît lointain et artificiel. Si Parasite est film-miroir, il est aussi film à niveaux, autant dans sa construction spatiale que narrative. L’allégorie du train de Snowpiercer et ses wagons représentants les différentes classes sociales laissent ici place à quelque chose de moins évident et imagé, mais d’autant plus percutant. Après les avoirs savamment installées, Bong Joon Ho retire les couches d’acquis et de bienséance et casse son jeu d’apparences pour atteindre le noyau dur de la perversion et de la vénalité humaine. Hitchcockien en diable dans son découpage et son approche narrative qui prend la forme d’un véritable jeu de piste, Parasite impressionne avant tout par sa capacité à créer du grand avec du petit. Ici, le resserrement de l’intrigue et le confinement de l’action ne font que décupler la richesse thématique et symbolique du projet et se trouvent être le foyer d’une mise en scène communicative et constamment renouvelée.
À travers ce portrait de deux familles que tout oppose, le réalisateur alterne donc les genres avec une apparente facilité déconcertante. Comédie satirique, drame familiale, film d’horreur, home invasion… Bong Joon Ho concocte sa mixture avec maestria et la saupoudre en plus d’une BO aux relents lyriques décuplant la force de certaines séquences et d’un casting exceptionnel, à commencer par son acteur fétiche Song Kang Ho qui trouve une nouvelle fois ici un rôle de loser magnifique dont le regard trahit toute la détresse intérieure. Seule faute de goût de la recette : un épilogue un poil poussif et un plan final de trop, qui détruit malheureusement toute la délicieuse ambiguïté de celui qui le précède qui, lui, aurait mérité d’être la note finale de cet élixir filmique.
Véritable concentré de génie cinématographique, il est logique (mais non moins grandement réjouissant) que Parasite ait raflé la Palme d’or. Sa galerie subtile et pertinente de portraits, son écriture exemplaire et son déploiements cinématographique riche en font un objet de cinéma original, vénéneux et pénétrant. S’il n’atteint jamais les sommets émotionnels de Memories of Murder, The Host et Mother, Parasite reste un grand film, tour à tour drôle, attachant et terrifiant. Une œuvre à la précision chirurgicale et à la poésie inquantifiable. On ressort de la salle étourdi par la virtuosité de l’ensemble et secoué par un dernier segment sauvage où la violence morale faite aux uns se transforme en sévices physiques faites aux autres.
critique originale : https://www.watchingthescream.com/let-the-wrong-one-in-critique-de-parasite/