[Critique à lire après voir vu le film]
De Catherine Breillat, je n'avais vu jusqu'ici que 36 fillette. Je retrouve dans cet opus qui lui succède huit ans plus tard ce qui me semble être le style de la cinéaste. Un goût pour affronter les tabous d'abord, s'agissant de sexualité : 36 fillette mettait en scène la première expérience sexuelle d'une jeune fille de 14 ans, Parfait amour ! nous conte une relation entre un jeune homme et une femme plus âgée que lui.
Dans les deux cas, le tabou est atténué par son rendu à l'écran : là où la jeune fille en paraissait 16, la femme dont il est ici question est loin de paraître une femme mûre, comme la qualifie le jeune homme. Vérification faite, Isabelle Renauld avait 30 ans au moment du film... C'est donc une femme dans tout l'éclat de sa beauté qui nous est donnée à voir. Quant à Francis Renaud, vérification faite aussi, il n'a que deux ans de moins qu'elle !
Curieusement, donc, Catherine Breillat semble vouloir interroger les interdits de notre société en s'arrêtant à mi-chemin : de fait, on oublie vite la différence d'âge à les regarder ensemble. Seule la grande fille de Frédérique nous la remet en mémoire... notamment lorsque Christophe se met à la draguer.
Une autre caractéristique de Breillat est son tropisme pour le sujet du sexe, au coeur du film comme dans 36 fillette. La cinéaste sait en restituer toute la complexité, presque trop, même. Ainsi Frédérique assure-t-elle à certains moments que le sexe ne l'intéresse pas, que la "baise" (que le couple distingue avec justesse de "faire l'amour") n'est pas son truc, à d'autres qu'au contraire ce n'est que cela qu'elle attend de Christophe. De son côté, Christophe prétend s'en désintéresser, toute femme n'étant qu'un bout de "chair qui pue", mais il est par ailleurs fasciné par le très cru Philippe et participe à des partouzes. Au départ épanouissante sur ce plan, leur relation tourne au vinaigre. C'était inscrit dans le pitch, le seul suspense résidant dans le timing du déroulé.
La cinéaste prend son temps pour installer la relation, en de nombreuses scènes dialoguées sur l'oreiller où chacun dévoile ses failles. C'est là une autre caractéristique du cinéma de Breillat, très écrit, une sorte de Rohmer, les scènes de sexe en plus ! Bien sûr, les acteurs doivent être de premier ordre pour qu'un tel cinéma fonctionne. C'est le cas de Francis Renaud, encore qu'il tire un peu trop sur des clopes (une facilité à mes yeux), mais surtout d'Isabelle Renauld, belle, émouvante, passionnante à regarder. Par moments, Breillat se laisse un peu aller : l'ultime explication sur la plage est vraiment trop longue. Les mouvements d'attraction et de répulsion ne passionnent pas toujours, Frédérique réclamant classiquement l'exclusivité quand Christophe se sent tout aussi classiquement enfermé dans la relation. On a parfois l'impression d'un cinéma qui se veut très profond alors qu'il n'enfile finalement que des lieux communs.
Heureusement, Breillat a cette idée intéressante de créer un point d'appui, avec le personnage de Philippe, incarné... par le négationniste Alain Soral. Un choix qui n'est pas politiquement correct, mais qui s'avère judicieux, étant donné le côté vénéneux du personnage ! Le copain de Christophe représente le degré zéro du romantisme, associé à une misogynie radicale : lorsqu'on le voit la première fois, il ne s'adresse qu'à Christophe, ignorant sa compagne. Il raconte une scène hallucinante de fellation sur une Vespa lancée à 80 km/h. Christophe oscille entre ce pôle, celui des femmes vues comme des bouts de viande à baiser, et le pôle opposé, celui d'un amour romantique, total, auquel Frédérique l'appelle. Puisqu'il n'arrive pas à choisir, Frédérique formule la thèse qu'il serait "pédé". C'est bien ainsi qu'il se conduira, choisissant la sodomie avant de tuer sa maîtresse.
La scène n'est pas très réaliste : à moins d'être dans le porno et de pratiquer la chose tous les jours, j'imagine mal qu'une femme puisse recevoir un manche dans l'anus sans lubrification et y trouve immédiatement du plaisir, voire se mette à rire. Il y aurait plutôt de quoi hurler de douleur, non ? Puisque Christophe ne peut décidément pas humilier sa partenaire, plus qu'à la tuer, en une longue série de coups de couteau impressionnants. Tout cela est filmé de façon très crue, quasi documentaire, une autre caractéristique du cinéma de Breillat qui ne cherche généralement pas à construire de beaux plans.
Encore que... il faut saluer les quelques scènes contemplatives qui s'insèrent entre les scènes dialoguées : les deux amants sur la plage (un cliché de la relation sentimentale), celle-ci apparaissant vide ensuite (bien aimé, ça) ; un mont progressivement gagné par la brume, que Breillat filme longuement, toute la durée du morceau de musique ; des vues du port de Dunkerque parfois très belles, comme ce crépuscule nuageux ou ce paysage industriel.
Mais le plus souvent, Breillat, héritière en cela du cinéma de Pialat, cherche simplement à capter des instants de vérité. Elle y parvient souvent : son Parfait amour ! est certes un peu bavard, par moments un peu vain, mais il reste une oeuvre estimable, qui m'incite à explorer plus avant la filmographie de cette réalisatrice.