En sortant du cinéma où nous avions vu Call me by your name, ma voisine, abasourdie par ce film se tourne vers moi et déclare « Je pense que c’est la plus belle histoire d’amour que j’ai vue au cinéma ». Bien que j’avais moult contre-arguments, je lui ai spontanément demandé si elle avait déjà vu Paris, Texas.
Je ne sais pas pourquoi, ce film a directement fait écho à " la plus belle histoire d'amour ", ou, du moins, l'une d'entre elles. Enfin si, je sais pourquoi. Je l’ai revu il y a peu, seule : ma première fois avec ce film remonte, et je n’en avais pas un souvenir des plus parfaits.
Alors je me suis posée, tranquillement, et l’histoire commence. Quelques deux heures ensuite, il me faut revenir à la réalité, décontenancée, complètement engluée dans mon canapé, devenu refuge providentiel. J’avais oublié. Peut-être qu’à l’époque, il m’avait rendue trop triste, et que toute fragile que je suis, je l’ai éludé; peut-être qu’au moment où je l’ai vu je n’avais pas cette maturité, cette sensibilité, que sais-je.
Ce film pour moi c’est l’amour. Un peu à l’image de Mon Roi, où l’amour est si passionné, passionnel qu’évidemment il finit par être trop douloureux pour être sain, et tellement destructeur qu’il creuse le cœur bien plus qu’il ne l’emplit. Une telle dose d’amour, d’affection qui effectivement deviennent possession, jalousie, poison toxique, beaucoup trop venimeux.
Travis, qui erre comme quelqu’un qui a tout perdu, peine à se souvenir, à parler. Et qu’a-t-il fait durant ses quatre ans ? L’éclat brisé de ses yeux nous laisse deviner qu’il n’a rien oublié. Ni son fils, ni sa femme, ni les sentiments qui le rattachent à son frère, à sa belle-sœur. Sa voix éreintée et toujours hésitante se prépare à se confronter à la peine et au retour à la réalité qui, fatalement, l’a attendu, patiemment : elle n’a jamais eu rien à perdre. Cette voix. Je pense que sans les images, qui sont sublimes, le film pourrait être tout aussi beau : déjà, la guitare lancinante de Ry Cooder porte à elle seule la mélancolie qui habite Travis. Puis, la tendre voix d’Anne, dans laquelle trône un accent français – agaçant au début, certes, mais agacement très vite pallié par cette douceur. Les discours bienveillants de Walt, qui, face au mutisme de son frère, perd patience pour se raccrocher désespérément à ce qui les lie tous deux. Bien évidemment, la conversation des deux amants perdus dans la cabine du peep-show, à mes yeux l’une des scènes les plus belles, les plus touchantes.
Si ce film m'a semblé si puissant, c'est parce qu'il est humain, trop humain : rien n’est trop gros, il faut réapprivoiser l’enfant qu’on a tenté d’oublier durant quatre longues années, se souvenir de ce que c’est d’être père, et, malgré cette réappropriation de la vie, les stigmates perdurent. Le sommeil se fait rare, car habité de cauchemars, de démons incarnés par la personne que l’on a pu être en pleine passion amoureuse. Il faut redevenir homme. La perdition de Travis est vertigineuse, elle renvoie à cette ligne de chemin de fer qui ne semble jamais prendre fin.
Ce film c’est la fracture de la conscience, de la condition humaine. C’est l’écueil entre le bien et le mal dans lequel on se noie. C’est faire des choix, aussi déchirants puissent-ils être, c'est aussi se rendre compte que la terre continue de tourner même s’il nous semble ne plus avoir les pieds dessus. Les cinq personnages que nous présente le film sont empreints de cette humanité, de ces sentiments qui constituent chacun d’entre nous : la peur, l’espoir, l’amour, la nostalgie. Le dénouement de Paris, Texas raccorde chacun de ces sentiments et nous laissent hébétés. Pour ma part en tout cas : si je suis restée tant décontenancée face à cette lutte d’émotions, de vices, c'est parce que l'on sait que la vie continue, même quand on souffre, même lorsque chacun des visages que l’on rencontre contiennent un trait de l’être que l’on aimera encore longtemps.
Pour en revenir à mon premier mouton, Call me by your Name est un très bon film, pas de problèmes. Mais on y a suivi le bonheur des deux amants et leur passion : dans Paris, Texas, seule une vidéo qui semble si lointaine nous permet de croire au bonheur, fugace, de Travis et de Jane, héros romantiques et donc si esseulés.