Désert immense sous l’incandescence d’un soleil féroce, élans meurtris de poussière et de sable, et un homme seul qui se traîne, vagabonde après avoir couru trop longtemps jusqu’à vouloir disparaître, complètement. Et les éclats de guitare de Ry Cooder, lancinants et lumineux, accompagnent ce beau voyage dans les revers tristes du rêve, du mythe américains qui fascinent tant Wim Wenders. Paris, Texas, c’est l’histoire d’un amour fou qui s’est mal fini, un homme et une femme qui s’aimaient trop et qui, des années plus tard, se rejoignent, s’effleurent à travers la vitre sans tain d’un peep show mélancolique. Leurs visages se superposent et se confondent, les yeux dans les yeux après tant d’absences, après tant d’égarements.
Il lui raconte son histoire, il lui raconte leur histoire. Elle comprend qui il est, elle pleure doucement en se rappelant alors, là contre un mur de sa cabine mélancolique. La scène est bouleversante évidemment, pleine à craquer de pudeur et d’émotions, et c’est sans doute l’une des plus touchantes du cinéma de Wenders qui réalisa là son chef-d’œuvre (ou alors serait-ce Les ailes du désir, tourné juste après ?), symbiose parfaite entre son esthétique de l’errance, des architectures vides, et que l’on peut considérer comme spécifiquement Est européenne (Béla Tarr, Sharunas Bartas, Theo Angelopoulos…), et la sensibilité à fleur de peau, plus essentielle, plus directe, du scénariste et acteur américain Sam Shepard.
Travis (Harry Dean Stanton, magnifique dans ce qui sera son unique grand premier rôle), cet homme qui marche et se meut (et s’émeut aussi), revient dans la vie le temps de reconstruire ce qui reste, ce qu’il a laissé de celle d’avant. Avant quand il s’enfuit vers l’oubli. Sa tentative de réinsertion et d’accomplissement permet à Wenders (avec la complicité habituelle de Robby Müller, directeur de la photographie renommé qui travailla entre autres pour Jim Jarmusch et Lars von Trier) d’établir une poétique des espaces naturels, urbains ou plus personnels, d’abord par une composition des cadres splendide (certains plans évoquent, à leur façon, les toiles d’Edward Hopper, grand peintre de la solitude), ensuite par l’utilisation symbolique et récurrente des couleurs primaires, du vert, du bleu, du jaune et du rouge.
C’est d’ailleurs le rouge (et ses variantes, jusqu’au rose vif du célèbre pull mohair porté par Nastassja Kinski) que l’on retrouve disséminés un peu partout dans les décors, sur les personnages et les accessoires (casquette, chemise, voiture, rideaux…). Fragments vitaux, constitutifs, d’une existence qui se recompose lentement, se remémore à rebours (retrouver un frère, puis un fils, puis une épouse), tels des petits cailloux laissés à l’image, des repères à suivre jusqu’au pardon, jusqu’à une forme d’harmonie. Puis repartir enfin pour l’exil aux rebords d’une vie soudain acceptée, soulagée, remise en ordre, et comme assouvie dans son entièreté.
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