L'émotion n'existe que lorsqu'elle est mise en forme

Parle avec elle


Le film commence dans un théâtre, un ballet. Deux femmes, en chemises de nuit, les yeux fermés, comme à demi conscientes, parcourent fébrilement la scène. Un homme pare leur course désordonnée, écarte les chaises devant leurs pas. Deux femmes en train de tomber, un homme tente d’empêcher, ou au moins, d’adoucir leur chute.
Un public, mais surtout deux hommes dans la salle: l’un pleure l’autre le regarde .(Marco et Benigno)
Ces deux inconnus vont se retrouver autour de deux autres femmes dans le coma.
Parfait prologue chorégraphique et poétique du film à venir­.

D’une part, Benigno, l’infirmier, s’occupe d’Alicia. Il la parfume, la lave, la masse. Mais par dessus tout, il lui parle, lui raconte les spectacles de danse auxquels il assiste. Il vit la vie d’Alicia pour ensuite pouvoir la lui raconter. D’autre part, Marco, lui, accablé par le coma de Lydia, essaie de comprendre l’infirmier. Cependant il ne parvient pas à entrer dans ce qu’il considère comme une "illusion de communication" qui fait le quotidien et le bonheur de Benigno.
"Parle avec elle" lui conseille Benigno.

Il s’agirait alors d’une histoire d’hommes? Almodovar parle avant tout d’amour. Un amour, où les femmes silencieuses et impénétrables, seraient l’aspiration du désir des hommes qui imprudemment s’aventurent en elles.
Au fil du film, se crée une relation entre les personnages de Benigno et de Marco. Deux hommes aux caractères bien différents, Marco, séducteur, et Benigno futur vieux garçon, se lient d’amitié autours des femmes.
Parle avec elle marque la filmographie d'Almodovar: il parle de sentiments, de pudeur, de solitude. On est loin des travestis, de la sexualité déchainée, fantasmée, comme on aurait pu le voir dans Attache-moi ou Tout sur ma mère.

Benigno, follement amoureux d’Alicia, est allé voir, dans le but de le lui raconter, un film : l’amant qui rétrécissait. Ce film traite d’un homme qui, après s’être soumis à une expérience scientifique, voit sa taille diminuer. Il entreprend alors de faire jouir son amante en s’introduisant dans son sexe. Ne serait ce alors pas ici, une métaphore du spectateur de cinéma? Son amante, la beauté le soumet à cette expérience qu’est de rétrécir, jusqu’à disparaitre, à l’intérieur du film. L’art apparaît alors comme une puissance rédemptrice, devant la finitude et les insuffisances de la vie.

Après avoir vu ce film, Benigno entreprend de s’en inspirer. Il pénètre dans son sexe, et disparait en commettant un crime. ll est ensuite jugé psychopathe, et finit par se suicider. Il disparait donc socialement. Mais Almodovar se refuse aux scènes mélodramatiques : ni l'accident d'Alicia, ni son réveil, ni le suicide de Benigno se sont filmés.
Comme si ces scènes, trop liées à la mort ou au triomphe de l’amour, choisissaient trop facilement leur camp.
En ce sens le film n'est rien de moins qu'une métaphore sur l'art : Les spectacles mettent sans cesse en relation l'art et son spectateur. Almodovar met en scène un jeu de regard entre l’affrontement de l’amour et de la mort. De plus, la crise de larmes de Marco n’est pas déclenchée que par le suicide de Benigno, mais surtout par la vue de sa lettre : l'émotion n'existe que lorsqu'elle est mise en forme.
Eiffel
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le 17 août 2014

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