Je connais bien mal les films d’Almodovar mais après l’hilarant « Les amants passagers », le poignant « Etreintes brisées », j’avais hâte de regarder « Parle avec elle ».
Le cinéma espagnol a toujours du mal à s’imposer parmi le cœur des français, pour sa lenteur et j’en passe, encore plus, me semble-t-il, les films d’Almodovar pour ses expérimentations parfois douteuses. Néanmoins, on ne peut lui enlever cette capacité folle à inventer des personnages hors-normes : névrosés, d’une singulière fragilité, aimés, aimants, torturés, … Ses héros sont étonnants de profondeur.
« Parle avec elle » n’échappe à l’esprit d’Almodovar qui use de ce charme spécifique au cinéma, pour nous transporter et, de par ses cadrages, nous rendre intimement complices avec ses héros.
Ce film est riche, intéressant, perturbant, et ce, grâce à sa réalisation bien évidemment. Une mise en scène et des choix artistiques osés mais gagnants. Sans faire une liste exhaustive, si ce n’est parler de ces scènes qui m’ont marqué : ce flash-back qui se résume par ce plan de caméra centré sur le rétroviseur, renvoyant sans cesse à un passé perdu, cette mise en scène où le reflet dans la vitre de Benigno se superpose au visage de Marco révélant leur intime ressemblance malgré leurs différences, ce paradoxe aussi, avec deux hommes bavards face à deux femmes silencieuses, ces séquences de films muets ou de chorégraphies qui content l’ineffable. Ces hommes, au monologue perpétuel, qui se répondent par échos.
Ce film est beau, de par son message et ses acteurs sans faille, je me suis tant attaché à ces deux hommes piégés par leurs sentiments, piégés par l’incompréhension, piégés par l’impossible et l’espoir. Il aurait pu tourner au voyeurisme, au pathos démesuré, mais non, Almodovar, à l’image de « Etreintes Brisées », réalise une œuvre parfaitement équilibrée. Javier Cámara, sublime et sublimé, dans ce rôle d’infirmier, d’une infime tendresse, avec sa propre folie, ses caresses ambiguës, ses paroles aussi évidemment… Almodovar et l’importance du verbe dans ses réalisations.
Le film surprend aussi par son voyage dans le temps et l’espace, tandis que ses héros sont immobiles : le cadre est restreint : chambre d’hôpital, chambre d’appartement, cellule de prison, nous voyageons au travers de parenthèses intellectuelles. La plus belle est sans nul doute la première, celle qui débute le film, longue projection de ce que sont nos personnages.
Almodovar favorise les silences, les pauses, on est dans l’attente. Le final est l’apogée du film : ce siège qui sépare cet homme et cette femme, ce simple siège lourd de symbolisme, et ça, j’aime.