Il a été décidé qu'un quota devait être établi afin qu'en politique les femmes puissent avoir leur mot à dire et ne pas laisser les hommes occuper abusivement la place. La candidate Agathe Villanova, aux idées féministes, se trouve parachutée dans le sud de la France. Elle n'apprécie pas trop cet endroit où justement elle passa sa jeunesse. Sa soeur Florence, son mari et ses deux enfants, eux, sont restés au pays avec Mimouna leur femme de ménage algérienne qu'ils ont ramené lors de l'indépendance de son pays. Au cours de ce mois d'août pluvieux, Agathe va être hébergée chez sa soeur durant dix jours afin de régler certains comptes de famille à la suite du décès de leur mère. De plus la candidate doit mettre cette période à profit afin de se faire connaître de ses concitoyens et une importante réunion est prévue à cet effet. Deux copains inséparables, avides de reportages, Karim, le fils de Mimouna et Michel Ronsard entreprennent de filmer un sujet sur "Les femmes qui ont réussi" Agathe est l'héroïne toute désignée pour ce thème. Mailheureusement le temps et la vie sont capricieux durant ce mois d'août cafardeux et rien ne va marcher comme il se devrait...
A la vue de ce film plusieurs réflexions me sont venues à l'esprit car en suivant cette histoire on touche différents sujets qui finissent par se rejoindre. En effet au fil de cette tranche de vie on débouche sur un thème précis: le mal être. Si l'on prend ce sujet du quota des femmes au niveau des responsabilités politiques, on devine aisément la déception et le désarroi d'Agate qui, novice et par la force des choses, ne peut être que "parachutée" dans un lieu qu'elle n'a pas eu à choisir. Le droit qu'elle a obtenu, grâce à sa lutte féministe, aboutit à un genre d'injustice à tel point qu'elle ne prend aucun plaisir à défendre ses idées dans un lieu qui lui est hostile, son idéal se transformant en corvée. Puis on en vient à cette famille réunie au sein de laquelle on ressent des tensions dues aux injustices du passé. En fait, on fait semblant de s'apprécier parce que l'on est soeurs mais l'image négative des parents revient au galop notamment dans l'esprit de Florence et la défiance s'installe. Alors que tout ne semble pas aller trop mal, tout ne va pas et n'ira jamais très bien. Florence n'a rien à envier à sa soeur car ses occupations et ses motivations sont loin d'être les mêmes mais le soleil du sud n'empêche pas une vie routinière entre son mari avec lequel l'amour s'est transformé en habitude et l'éducation des deux enfants. Mimouna, déracinée de son pays natal, regrette, malgré sa condition, les siens et ses origines. Elle ne se sent pas chez elle et pense retourner dans son pays natal à la prochaine occasion. Elle navigue dans la nostalgie alors que son fils Karim, marié "sans plus" traîne derrière lui un sentiment de révolte contre une société qui lui a imposé un mode de vie pour lequel il n'est pas préparé. Ainsi il va se défouler en harcelant de questions aussi embarrassantes que discourtoises Agathe, symbole pour lui des institutions vu son statut de femme politique. Enfin il y a Michel le copain de Karim. Il erre dans cet atmosphère tel un funambule. Il a certes des ambitions mais son tempérament un peu marginal fait que ses projets n'aboutissent jamais, pourtant on ne peut détester cet homme même si son inconscience, son dilettantisme finissent par agacer jusqu'à son plus fidèle copain. Le reportage dans lequel il entraîne Karim n'est qu'un bide allant d'imprévus en catastrophes. Finalement, voici le tableau de divers personnages paraissant tous différents par leurs tempéraments mais qui aboutissent tous au même point: le regret de n'avoir goûté au bonheur réel de la vie..
Quelle soit actrice, scénariste ou réalisatrice, j'ai beaucoup de tendresse pour Agnès Jaoui car j'adhère complètement à son style et à sa philosophie. Pour son troisième film en temps que réalisatrice, je ne suis pas déçu. Cette oeuvre est faite d'un enchevêtrement de petits détails qui paraissent à première vue anodins mais qui sont en fait d'une efficacité diabolique car on peut être amené à se reconnaître par instant dans chaque personnage. Le mal-être est une malédiction de notre époque et dans ce film nous avons une démonstration magistrale de ce qu'il est susceptible de provoquer. De l'extérieur le mal est souvent presque invisible mais Agnès Jaoui tout en sensibilité et parfois de façon ironique parvient à nous convaincre de la souffrance morale permanente de ses personnages. Elle nous montre le détachement mais aussi la révolte intérieure de ces êtres insatisfaits. Le moment de l'interview presque agressif d'Agathe par Karim est un grand moment qui démontre ce qu'une personne peut ressentir comme rancoeur envers ceux qu'ils imaginent responsables de leur état. C'est vrai, il vaut mieux parler de la pluie ou du beau temps avec certaines gens afin de masquer l'indifférence ... Dans son habit d'actrice, Agnès Jaoui est là un modèle de sensibilité et de sobriété. Elle ne semble pas interpréter un rôle, elle vit le plus naturellement du monde sous nos yeux. Jamel Debbouze est un personnage émouvant et convaincant au possible. Une fois de plus il démontre qu'il est aussi un immense acteur dans toutes les gammes du comique au dramatique. Jean-Pierre Bacri, une fois encore, se montre excellent dans ce rôle de personnage un peu raté mais ne semblant pas prendre trop ombrage de cette situation. Les autres acteurs participent avec bonheur à la réussite de cette entreprise servie par un scénario efficace et tout en finesse d' Agnès Jaoui et de Jean-Pierre Bacri.
Voici donc une oeuvre que je vous recommande particulièrement, une oeuvre sur laquelle on médite encore après l'avoir quittée. Elle nous fait réfléchir sur des instants de notre vie car à la vue de cette réalisation on se reconnaît forcément quelque part. En tout cas, une nouvelle fois Agnès Jaoui en témoin et messagère de l'état de notre société nous démontre que le cinéma français plus que jamais a trouvé un style bien à lui et par delà même se montre bien vivant.
Autres critiques de films d'Agnès Jaoui à votre disposition :
http://www.senscritique.com/film/Au_bout_du_conte/critique/47457659