Nous y voilà, troisième long-métrage de Nikita Mikhalkov, et probablement le plus célèbre et le plus réputé. Celui où les étoiles s’alignent, diraient certains, celui où les promesses, le potentiel montré lors de ses deux premiers essais délivrent toutes leurs promesses.
Si vous avez lu mes critiques de Le Nôtre parmi les autres et d’Esclave de l'Amour, alors vous savez déjà qu'en dépit de défauts de rythme et de mise en scène, j'ai beaucoup apprécié le visionnage des deux premiers films du réalisateur soviétique moustachu (presque un pléonasme). Alors si la majorité des gens semblent considérer que c'est son chef-d'œuvre, il n'y a pas de raisons que ce ne soit pas mon cas, n'est-ce pas ?
Eh bien, en un mot… non.
Au fait, le pitch : en cette fin de XIXème siècle/début XXème qui marque l'essor culturel et économique de la bourgeoisie russe, plusieurs de ses membres se retrouvent dans la jolie datcha appartenant à la veuve d'un général, bâtie au bord d'une rivière. On discute de tout et de rien, surtout de rien en pensant qu'il s'agit de tout, jusqu'à ce qu'arrive un certain Platonov, dont le succès plus ou moins contrôlé auprès du beau sexe et la jalousie et l'agacement qu'elle engendre chez les hommes va causer quelques tensions.
C'est étrange, j'ai l'impression qu'il y a encore quelques années, j'aurais beaucoup plus apprécié Partition inachevée… (appelons-le comme cela, voulez-vous, pas question que je me tape l'intégralité du titre à chaque fois !). Mais quelques semaines après avoir abandonné en cours de route l'adaptation télévisuelle du Chemin des Tourments d'Alexeï Tolstoï, il semblerait que je sois de moins en moins tolérant vis-à-vis de ces tragédies familiales dans lesquelles : "ah, j'ai épousé un homme/une femme parfait(e) à tous points de vue, mais en vérité je ne suis pas amoureux, car je ne sais pas ce que mon cœur désire, ce cœur russe, si libre, si pur, comme les blés, Oh Seigneur, pourquoi me fais-tu souffrir autant…".
Vous l'aurez reconnu, je m'inspire un peu de Woody Allen dans son Love and Death pourtant sorti deux auparavant – j'ai été surpris en voyant cela, car je pensais sincèrement que l'ami Woody s'en était un peu inspiré ! Enfin, tout cela pour dire que cette cacophonie de fatalisme, de cynisme, de romantisme, de pathétisme, chacun exacerbé puissance 1000, ça va bien cinq minutes.
Je suis parfaitement conscient que Tchekhov, dont le film s'inspire de plusieurs œuvres et notamment de la pièce Platonov, entendait se moquer de cette bourgeoisie si imbue d'elle-même et de sa supériorité culturelle sur les masses ouvrières qui bientôt prendraient leur revanche. La démarche de Mikhalkov est la même, ce qui signifie que la vaste majorité des dialogues sont à prendre au second degré.
Tout cela je le sais ; mais le problème, c'est que ces dialogues ne sont pas suffisants pour porter le film à eux-seuls ! Je ne les ai tout simplement pas trouvés assez drôles ni assez fins pour me laisser entrainer et m'investir dans les personnages les déclamant. Tout ce que j'ai vu et entendu, c'est un blabla incessant, un "je te tiens, tu me tiens" où c'est celui qui parle moins fort qui aura une tapette, semblerait-il !
"C'est voulu", me répète-t-on, ce à quoi je réponds : "vraiment ?". Je pensais un temps mettre ce désintérêt sur le compte de la qualité relativement médiocre des sous-titres français, mais j'ai regardé le film en compagnie d'une amie russophone de naissance, et elle aussi en avait plus qu'assez de ce qu'elle appelait les "fadaises tchekhoviennes". Pourtant, il y a moyen de construire tout un film autour de ce genre de joutes verbales sans queue ni tête : si je puis me permettre de citer à nouveau l'exemple Alexeï Guerman – et pourquoi ne le ferais-je pas alors que je considère qu'il s'agit du plus grand réalisateur russe depuis Tarkovski – voilà quelqu'un dont 90% des dialogues sont consciemment grotesques ! Or non seulement ils sont généralement plus drôles, mais Guerman utilise ses images avec beaucoup plus d'ingéniosité et de virtuosité que Mikhalkov : il laisse sa caméra parler pour donner une pause à ses personnages et à nous les spectateurs, pour nous laisser digérer.
Le pire, c'est quand il veut, Mikhalkov arrive à conférer une véritable dimension cinématographique et poétique à sa Partition inachevée… (joli titre, j'en conviens). Je pense notamment à la scène la plus connue du film, lorsque le fameux piano se met à jouer tout seul : voilà un moment de folie douce qui ne donne pas mal à la tête, empreint au contraire d'une dimension à la fois lyrique et comique à laquelle on ne peut rester insensible. Le plan final est du même ordre – encore quelque chose que Nikita réussit presque toujours dans ses films. Et tout n'est pas à jeter dans les interminables dialogues/monologues (la frontière est tenue, chez Tchekhov), l'échange entre un Platonov au comble de son cynisme et un Porphiri Semionovitch malade de haine et de jalousie étant particulièrement puissant.
Mais franchement, ces quelques rayons de lumière ne m'ont guère empêché de m'ennuyer sévère passé le cap de la première heure, sans cesse balloté comme je l'étais par des dialogues beaucoup moins futés qu'ils ne pensent l'être. Pour moi, le mariage Tchekhov/Mikhalkov fonctionnera bien mieux à l'avenir – et fonctionnait déjà mieux dans Esclave de l'Amour ! Enfin bon, il semble faire l'adhésion de tous sauf moi, donc j'imagine qu'il y a quelque chose que je ne vois pas dans tout ce prêchi-prêcha, à moins que ce ne soit le cadre éminemment bucolique de l'ensemble. Désolé, mais pour moi Partition inachevée… n'est pas du cinéma : c'est du théâtre de plein air.