On ne compte plus les films semonçant la bourgeoisie à travers les âges et visiblement Mikhalkov avait aussi des choses à dire sur la haute société russe déconnectée du peuple par cette subtile métaphore du manoir perdu au beau milieu de la nature, loin de toute civilisation. Là un aristocrate chante la supériorité de la femme sur l'homme avant qu'un dîner ne se fasse entre nantis de tout horizon. Plutôt que d'approcher le drame, le réalisateur opte pour la comédie grotesque, multipliant les personnages haut en couleurs entre un darwiniste pédant crachant sur toute personne n'étant pas de sang bleu ou encore un médecin qui n'a un peu que faire du serment d'Hippocrate. Tourné en dérision, cela n'occulte pour autant pas le malaise qui en découle. Sous les rires joviaux et bonnes manières, on sent que les sentiments envers l'un et l'autre sont dissimulés et cette soirée sera le point de rupture pour que les rancoeurs s'envolent avec un lyrisme particulièrement savoureux.
Tel un menu à 3 services, l'apéro commence avec quelques crispations avant que la mémorable séquence du repas ne fasse voler en éclat ces semblants de liens tissés entre eux et puis bien sûr le dessert, cerise sur le gâteau où les masques tomberont définitivement. On en arrive alors à approuver ce qui fut dit avant que l'orage n'arrive. Le sexe féminin n'a été que rarement représenté comme aussi pur. Considéré comme l'épicentre des commérages et coups-bas, aucune femme ne se rabaisse à la défiance perpétuelle qui existe au sein de ce conglomérat masculin prouvant que intelligence et bourgeoisie ne sont pas consubstantielles. Spectatrices de la déchéance du sexe "fort", elles en seront les premières victimes des tensions qu'ils répercuteront logiquement sur elles.
Façonné comme une pièce de théâtre, Partition inachevée pour piano mécanique illustre un temps la chute d'un monde qui n'a de raffiné que les vêtements, les meubles et les bijoux. L'Homme dans l'histoire est la tâche d'huile sur des décors à tomber à la renverse tant le travail sur les éclairages et les couleurs sont somptueux. Et que dire de ces longs plans fixes où les acteurs, à travers de longues et belles tournures de phrase, expriment leurs ressentis dans des chorégraphies verbales qui posent le respect. Un film russe d'importance et qui n'a pas vieilli pour un sou.