L'expression "pas de vague" est un hashtag qui a été lancé il y a quelques années par des professeurs protestant contre le silence de l’Éducation nationale face aux multiples pressions croissantes que subit quotidiennement le corps enseignant, notamment la violence scolaire. Un ras-le-bol global donc et un refus de toujours avoir à mettre la poussière sous le tapis et faire comme si de rien n'était.

Teddy Lussi-Modeste s'empare de cette expression pour nommer son film et pose généralement la question de la profonde crise et défaillance de notre système scolaire. Il s'inspire surtout de sa propre expérience de professeur de français qu'il exerce toujours en parallèle et d'un épisode douloureux dans lequel il a été accusé d'harcèlement, à tort, à l'encontre d'une de ses élèves.

Il s'entoure d'Audrey Diwan afin de rédiger le scénario et c'est certainement sous sa plume que celui-ci a dû basculer du drame social vers le thriller, ce qui n'est à mon sens pas une très bonne idée mais nous y reviendrons.

Le cadre est rapidement posé. Nous sommes au collège Paul Eluard d'un quartier sensible et Julien est professeur de français d'une classe de quatrièmes. Au détour d'un cours il analyse Mignonne, allons voir si la rose, un poème de Pierre de Ronsard avec ses élèves et, afin d’illustrer une figure de style, il emploie un exemple maladroit impliquant une élève introvertie et mal dans sa peau. Il n'en fallait pas plus pour que la classe se mette à divaguer, accusant le professeur de vouloir "gérer" la pauvre Leslie. La situation va progressivement dégénérer d'autant que Julien est peu soutenu par l'équipe professorale.

La plus grande qualité du métrage est finalement de dresser un tableau assez nuancé et exhaustif de la situation. Le spectateur est ainsi amené à se poser une multitude de questions. Comment assurer l'autorité lorsque celle-ci est tout simplement ignorée par les familles qui ne répondent même plus aux sollicitations des professeurs ? Encore faudrait-il que la dite famille ait une structure cohérente et que ce ne soit pas le grand frère violent qui soit en charge de l'autorité parentale. Comment faut-il se comporter avec des élèves dont les marqueurs culturels sont si éloignés de ceux des professeurs ? Faut-il essayer de gagner leur sympathie et si oui comment le faire tout en gardant une certaine discipline ?

Le film a l'intelligence de montrer les erreurs de Julien notamment son incapacité à poser un cadre et n'est ainsi jamais manichéen. Jeune idéaliste il souhaite faire bouger les choses, marquer la vie de ses élèves comme le fut la sienne après sa rencontre avec un professeur qui lui a donné sa vocation. Si ses intentions sont tout à fait louables et compréhensibles il va cependant découvrir que le mieux est l'ennemi du bien. Ainsi lorsqu'il veut récompenser les élèves les plus méritants en les invitant avec ses propres deniers au kebab il accentue la fracture avec le reste de leurs camarades à la peine. De même il n'évoque jamais son homosexualité et sa relation avec un homme ce qui aura le don d'irriter certains de ses collègues lorsque sa vie privée sera révélée, à fortiori lorsque cela concerne une collègue qui lui faisait du charme. Son homosexualité aurait d'une certaine manière pu l'innocenter mais faut-il nécessairement faire l'étalage de sa vie intime avec ses collègues, surtout dans des quartiers où ce type d'orientation sexuelle est assez diabolisé ? De même comment fait on pour préserver son intimité à l'heure des réseaux sociaux où circule une quantité folle de vidéos et d'images sans réel contrôle ? Tout le monde est un petit peu coupable mais personne ne l'est en particulier.

Si tout ceci est plutôt bien mis en scène j'ai quelques regrets notamment avec cette intention de vouloir faire du thriller et donc d'opérer à une certaine forme de gradation mécanique jusqu'à cette fin sèche et brutale bien trop facile qui échoue totalement dans ce qu'elle cherche a montrer. Cette volonté de mettre en scène une descente aux enfers est bien trop artificielle et sonne faux. Il suffit de prendre par exemple la séquence où les élèves diffusent en cours une vidéo de Julien qui performe une danse osée. L'intégralité de la classe et de l'établissement prend une posture moqueuse et humiliante, le tout souligné par une musique et un ralenti inappropriés. Je suis désolé mais ça ne marche pas. Il y a un côté trop théâtral, trop dialogué et trop écrit qui ressurgit à de multiples reprises et qui nuit à mon sens à l’œuvre qui peine à trouver un équilibre.

Le personnage de Julien n'est jamais en danger ou du moins on ne le ressent pas. Il est menacé par un petit caïd, le frère de Leslie qui a à peu de choses près le même gabarit que sa sœur. Encore une fois je comprends l'intention qui s’inscrit dans un contexte tendu notamment après l'assassinat de Samuel Paty mais là je n'y crois pas. La relation homosexuelle ne semble être présente que pour traiter de cette thématique sous le prisme politique mais n'existe jamais en tant que telle et ne véhicule aucune émotion. Il faut voir le climax de celle-ci représenté dans une séquence avec un effet visuel type lens flare mais bordel qu'est ce que ça sonne faux. Ce n'est pas la faute de François Civil qui est d'ailleurs très bon dans ce rôle à contre-emploi mais bien d'un vrai souci d'écriture. L'acteur quant à lui étonne par sa maitrise d'une palette dramatique tragique et par cette fragilité qu'il dégage.

Le reste du casting hormis les élèves qui sont très justes n'est pas franchement à l'aise et n'existe que pour donner la réplique à François Civil, flirtant avec la caricature. On a le proviseur désintéressé et carriériste, l'enseignante bien gauchiste, le surveillant autoritaire...

Pas de vagues est un témoignage intéressant et certainement sincère sur l'univers du "plus beau métier du monde". On comprend bien pourquoi l’Éducation nationale peine tant à recruter de nouveaux professeurs. Là où le bas blesse pour moi c'est dans l'exécution de cette volonté de faire du thriller un peu sensationnel qui n'est jamais étouffant ou anxiogène, devenant pour le coup extraordinairement quelconque.

Zoumion
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le 25 août 2024

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