Pat Garrett et Billy le Kid par Biniou
Ce que j’aime tant chez Peckinpah c’est l’ambiguïté qui ressort de ces films, chez lui on ne sait jamais à quoi l’on assiste. Contrairement à sa mise en scène faite de saccade et de rupture il y a dans l’écriture de Péckinpah d’étrange cohabitation, on peut dans la même scène avoir le droit à des évènements d’une grande brutalité et d’une infime poésie, parfois cela se confond en un seul moment, c’est assez extraordinaire.
Pour en revenir plus précisément sur Pat Garrett et Billy le Kid, je pense que c’est l’apothéose du style Peckinpah, peut être pas son film le plus jusqu’au-boutiste mais son film le plus équilibré. Il y a dans Pat Garrett tout ce qui fait le cinéma de Peckinpah et même un peu plus, déjà c’est son dernier western dans lequel il termine la déconstruction du mythe qu’il avait entamé avec Coups de feu dans la sierra. Il le fait avec une subtilité et une intelligence renversante, il ne se contente pas de dire « ces mecs là n’était pas des héros », ils les humanisent, enlevant les masques pour enfin montrer les visages (souvent abimé, épuisé), ce sont des hommes, juste des hommes. De la part d’un mec qui fut longtemps qualifié de misanthrope et de cynique c’est d’autant plus fort, il faut dire aussi qu’il ne l’a pas complètement usurpée cette réputation, car à un aucun moment Peckinpah ne perd son ton iconoclaste, sa verve d’ado rebelle, continuant à prendre un malin plaisir à enfoncer les hommes plus bas que terre, qu’ils se tirent dans le dos, ne respectent pas les règles d’un duel ou pire, vendent leurs âmes au diable, le monde selon Sam c’est pas les bisounours. Pourtant c’est au moment ou l’on pense que tout est perdu, que les hommes sont définitivement tous des salauds que Peckinpah sort sa botte secrète, la nuance.
A Partir d’ici SPOILER !
Quoi de mieux qu’un exemple pour illustrer le génie de Bloody Sam.
Je prends la scène qui est pour moi la plus belle de tout le cinéma de Peckinpah (du moins de ce que j’en ai vu), c’est celle ou Pat Garrett attaque avec l’aide d’un vieillissant sheriff et de sa femme la maison de Black Harris, un truand bien connu de Pat qui pourrait détenir des infos sur le Kid. Les trois représentants de la loi se pointe et tire sur tout ce qui bouge, dans le chaos le bedonnant sheriff est mortellement touché. C’est alors qu’il part balbutiant et s’assoit sur un rocher peu plus loin le regard vide, sa femme après que tout les hors-la-loi soit à terre s’en aperçoit et va le rejoindre, elle s’étend à ses cotés les larmes aux yeux, elle le regarde contempler sa mort, c’est son ultime regard. Peckinpah filme l’agonie de deux amoureux qui aurait bien troqué le fusil contre les charentaises, je ne m’explique toujours pas comment cette mort peut être si bouleversante alors qu’on ne connait ces personnages que depuis quelques instants. Peckinpah reviendra un instant sur Pat, le visage hagard, pensif, il vient de descendre l’un des ses anciens compères pour une raison qu’il à lui-même bien du mal s’expliquer.
Là tient le génie du grand Sam, réussir au milieu du sang et de la fureur à faire ressortir une émotion pure, c’est prodigieux.