Paul dans sa vie est un documentaire sur la vie de Paul Bedel, agriculteur à Auderville, village du Cap de la Hague, sur le point de prendre sa retraite. Célibataire, il vit avec ses deux sœurs dans la ferme où ont vécu ses parents. Ils en ont gardé les méthodes et le rythme de travail de l’époque. Il a la silhouette voûtée, la casquette vissée et les paupières tombantes. Il a deux vaches, quelques canards et poules, et cultivent de petits champs que des murets de pierres protègent des vents permanents de ce bout du monde. Il vit quasiment en auto production : des céréales pour le foin des vaches et pour le grain des poules, un peu de betteraves pour le dessert et l'hiver des vaches, un petit champ de pommes de terre, du beurre fait maison avec sa vieille baratte. On pense à l’agriculture de moyenne montagne des profils paysans de Depardon. Paul est le modèle opposé de l’agriculture prônée par la FNSEA et le Crédit Agricole réunis. Jamais de sa vie d’emprunt, un tracteur modèle 1956 racheté d’occasion en 1962, une faucheuse et une botteleuse datant d’avant-guerre, une mobylette des années 60’. Le tout régulièrement entretenu et en parfait état de marche. Un jour où il fauche ses prés un touriste arrête son camping-car pour filmer au camescope le pittoresque de la scène. Mais pour Paul qui affirme «Je ne fais pas partie du folklore ... Je suis dans ma vie», il n’y a rien de passéiste, ni de nostalgique à vivre en marge du progrès et de la technologie.
Et c’est merveilleux de le voir dans cette vie et de l’écouter se raconter. La caméra le suit dans ses tâches quotidiennes, aux champs, à la traite, à la pêche à pied où il traque le homard, dans ses fonctions de bedeau à l’église locale. De temps en temps il s’interrompt et médite, parfois en patois. Sur sa vie passée, sur l'héritage et l'importance de la nature ; sur la nécessité de s’arrêter et le déchirement que sera de voir sa dernière vache partir ; sur la nostalgie du temps où d’autres agriculteurs travaillaient dans les champs alentours, tous embauchés désormais par l’usine de traitement de déchets nucléaires voisine où lui-même n’a jamais voulu mettre les pieds ; sur la différence du lait quand les vaches ont pâturé dans les prés orientés vers la mer -et donc plus salés- ou ceux dos à l’océan ; sur l’avantage de faire « murir » son fumier pendant trois ans ; le voir regarder le journal télévisé régional consacré au salon de l’agriculture et de s’en prendre au présentateur qui dans un effet de mode parle d’un aliment au bon goût de noisette. « mais qu’est-ce qu’ils ont avec les noisettes, ils trouvent que tout a un bon goût de noisette »
Mais par rapport à cette évolution, lui le précurseur des circuits courts et de la vente directe, ne tire ni rancune, ni aigreur, ni reproche, et ne voudrait imposer son mode de vie à personne. Une des forces du documentaire est précisément de savoir montrer la beauté du personnage, l'authenticité d'une vie et la force poétique d'une existence, sans tomber dans un c'était-mieux-avant éculé. En se concentrant sur l'exemple d'un agriculteur français local, ce documentaire émouvant devient universel. Et on retrouve dans ces paysages, le climat, la lumière, la poésie d’un bout du monde, à quelques encablures des lieux où Jean-François Millet, peintre réaliste, exalta cette nature et les gestes paysans.