Santiago Mitre ne nous donne pas vraiment de résolution finale, et à nous d'interpréter ce qui pourrait suivre dans le nouveau monde de Paulina. De même que El présidente, l'histoire se concentre sur son héroïne et son ambiguïté, la caméra la suit, capte ses regards et son acharnement. Car c'est bien le caractère tranché et volontaire qui ressort du portrait de cette jeune femme tout en laissant une grande zone d'ombre sur le bien-fondé de ses actions. Le cinéaste met en lumière par son personnage tout le drame de son pays et d'une politique en berne face à la misère, à l'éducation et à la justice. En lutte contre l'ordre établi c'est en même temps la volonté pour Paulina de s'affranchir du joug de son juge de père, et du patriarcat plus largement, par le rejet de son fiancé, que de mener à bien son idée d'un monde plus juste et progressiste. Elle décide donc contre l'avis de son père d'abandonner ses études d'avocate et de partir en zone défavorisée pour y exercer un programme d'éducation politique.
Santiago Mitre nous met la pression dès le départ et use d'allers et retours entre présent et passé, jouant des points de vue, y apportant du rythme dans un cheminement assez linéaire. Les décors et les cahutes délabrées , la population qui divague dans les ruelles, les plans constants sur Paulina et la jeunesse qui trompe son ennui par les bagarres et leur haine des femmes, laissent présager que le parcours de la jeune femme idéaliste ne sera pas aussi limpide que l'est sa vision d'un monde meilleur.
Dialogues de sourds par effets rebonds entre elle et son père, avec son fiancé ou avec une amie professeur aux pieds bien plus ancrés dans la réalité, faisant suite à l'agression dont Paulina tentera de se relever en continuant son combat. L'introduction est assez significatif de la communication croisée de Paulina et de son père par un long plan séquence qui nous place directement dans le conflit qui n'aura de cesse de s'alimenter au fur et à mesure du cheminement et des décisions de Paulina et marque le fossé entre les générations. Mais également différence de classe sociale entre la petite bourgeoisie dont elle est issue, confrontée à l'extrême pauvreté du village, et où le langage rare des jeunes n'a d'égal que leurs regards revanchards, sa naïveté prend alors tout son sens dans son retour en pleine nuit dans cet environnement hostile qu'elle ne voit pas ou ne veut pas voir.
Se heurtant à la dure réalité et à la gestion post traumatique, Paulina reste ancrée dans ses convictions et se perds dans l'illusion. Un père dépassé qui ira contre les décisions de sa fille pour mener ce qu'il entend être la justice, un fiancé en déroute et une police violente qui ne feront qu'asseoir la position de Paulina qui mènera seule une sorte de croisade contre les violences quelles qu'elles soient, à nier son état de victime pour sa propre sauvegarde mentale, et continuer la lutte pour les plus démunis.
La jeune femme optera pour un choix pour le moins perturbant qui pourra heurter si ce n'est de saisir le cheminement de notre héroïne à changer son pays.
Le but du cinéaste étant encore une fois de nous perdre dans les méandres de l'esprit et de toute la contradiction qui peut en résulter, mais un choix plutôt dérangeant tant il convoque à la foi le bien-fondé de l'humanisme et du don de soi, tout en acceptant de perdre face à une société violente.
A nous d'adhérer ou pas à ce personnage jusqu'au-boutiste qui décide de changer la donne, mais reste pour moi un point dérangeant. En acceptant sa condition, le réalisateur place son personnage dans le rôle de procréation et de maternité, qu'est celui de la femme, tout en axant son récit sur la violence qui leur est faite et leur position sociale. En ressort alors un certain malaise où le féminisme qui émane du début du film s'en trouve totalement balayé.
Paulina a au moins le mérite de nous tenir bien tendus face au cheminement dramatique de son héroïne, avec peut-être un constat bien pessimiste à croire que vouloir c'est pouvoir.