Paysages Manufacturés par Philistine
Paysages manufacturés évoque des sujets des plus passionnants : une usine de fabrication de fers à repasser, qui doit bien faire 2km de long (mais bien sûr, je suis vouée à l'approximation vu que le documentaire ne le précise pas – c'est peut-être 10km), des lieux de récupération, la construction de cargos, leur déconstruction, le pétrole, la construction du plus grand barrage du monde (le barrage des Trois-Gorges) et ses implications, l'évolution considérable de la ville de Shanghai. Mais si je vous dis que le documentaire ne dure qu'1h20, vous commencerez à comprendre ses torts. Quelle idée de vouloir approcher autant de sujets, de la façon la plus vague qui soit !
Le fil conducteur est le photographe Edward Burtynsky, spécialisé dans la photographie de paysages industriels. On le suit mollement, au cours des années, lors de ses excursions photographiques, dont on a parfois un aperçu de l'envers, ce qui donne des dialogues édifiants du type :
« Je veux retourner là-bas pour prendre des clichés avec des lumières différentes
– Ouais, c'est spectaculaire. Bonne trouvaille ! »
Au moment où ces mots sont prononcés, des habitants payés pour détruire leur propre ville qui se situe dans la zone du barrage des Trois-Gorges sont en train de trier des débris. Le contraste entre ce photographe canadien et sa voix de débile et les pauvres autochtones ne peut qu'être saisissant. Il pose la question éthique de la photographie. Les clichés obtenus sont sublimes, en effet ; ils permettent également de médiatiser ces événements et lieux, de les documenter. C'est peut-être « bien », alors, qu'ils soient pris, mais on imagine d'autres façons, plus éthiques.
On imagine, par exemple, un véritable travail de documentation, et non pas une simple esthétisation de ces zones spectaculaires. Le photographe fournit, certes, quelques explications, mais celles-ci sont toujours à la fois très techniques (énumération de matériaux) et complètement vulgarisées. En fin de compte, aucun de ses discours ne permet d'appréhender le moindre des sujets qu'il photographie. On sort du film la tête pleine d'images et de questions irrésolues, de questions qui seront bientôt oubliées, et on retournera se terrer dans notre petite vie bien propre, au cours de laquelle il est très peu probable que nous puissions un jour toucher de près aux paysages industriels. Sauf qu'on est déjà inondés d'images, il y en a dans nos manuels de géographie ; on les voit, ces containers, on sait qu'ils sont nombreux, mais on serait incapables, par exemple, de dire combien ils sont. Au Havre, à Shanghai, à Rotterdam : 100, 1 000, 10 000, 100 000 par jour ?
Je n'en peux plus de ces documentaires non-informatifs, qui nous laissent sans réponse. Ici, le travail est bâtard : on nous fait croire qu'il y a information, avec cette voix-off du photographe et ces plans sur lui au travail, mais en vérité le film se porterait bien mieux en son absence, sans discours, puisque celui-ci n'apporte rien. On pourrait, au moins, bénéficier d'une véritable enquête sur la prise de vue photographique de Edward Burtynsky : comment obtient-il des autorisations, comment procède-t-il, comment a-t-il réglé ses problèmes éthiques ? Qui le finance, à qui est destiné son travail ? Rien de cela, à la place le photographe se prête à quelques confidences autobiographiques peu intéressantes, et puis le reste du temps il comble le vide en nous expliquant par exemple qu'« On est en train de changer la nature de cette planète, on est en train de changer l'air, de changer l'eau, de changer le paysage. Et pas seulement en Chine, mais dans le monde en général ».
Je me lasse du grand angle, je me lasse du spectaculaire. Je veux apprendre. A la loupe.