Le film est doublement intéressant : c’est le portrait d’une époque et d’un homme, attachant, et qui a su dénoncer les dérives d’une certaine agriculture productiviste (il est à l’origine, involontairement, du boycott du veau aux hormones par l’UFC-Que choisir en 1980), au détriment des paysans. A travers l’interview de sa femme, Marie-Paule, de collègues paysans syndicalistes, de Michel Rocard (1930-2016) [ancien Premier ministre (1988-1991) et ministre de l’Agriculture (1983-1985) succédant à Edith Cresson, sous la présidence de François Mitterrand], d’Henri Leclerc (1934-2024), avocat pénaliste, de José Bové (1953- ), le réalisateur raconte l’histoire d’un homme, fils de métayer, éleveur à Teillé (Loire-Atlantique), de bovins puis de poulets standards, qui va évoluer politiquement, passant de la J.A.C. (Jeunesse Agricole Catholique) au C.N.J.A. (Centre National des Jeunes Agriculteurs), puis, par la députation (1958-1962) dans la circonscription de Chateaubriant sous l’étiquette M.R.P. (Mouvement Républicain Populaire, parti démocrate-chrétien et centriste) pour finalement adhérer au P.S.U. [Parti Socialiste Unifié, opposé comme lui, à la guerre d’Algérie (il y restera 6 mois, en 1956, à 25 ans) et où il rencontra Michel Rocard]. Le 8 mai 1968, il organisa la manifestation des agriculteurs à Nantes, rejoints par les étudiants et les ouvriers. Il en résulta l’écriture de son livre, « Les paysans dans la lutte des classes » (1970), préfacé par Michel Rocard, réflexion juste, sur une partie du monde paysan, dont la Gauche considérait comme des capitalistes car propriétaire de leurs terres. En avance sur son temps, il dénonce la disparité du monde paysan, défend une agriculture citoyenne et remet en cause le système de l’intégration avec des coopératives, devenues des entreprises capitalistes, aidées par le Crédit Agricole, et où les agriculteurs sont de simples exécutants. En comparaison, Michel Debatisse (1927-1997), rencontré à la J.A.C., deviendra président de la F.N.S.E.A. (Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles) de 1971 à 1978, puis secrétaire d’état aux industries agricoles et alimentaires (1979-1981) dans le gouvernement de Raymond Barre (sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing). Son livre sur la lutte des classes le conduit à créer les « Paysans Travailleurs », qui s’associent à la lutte contre l’extension du camp militaire au Larzac où lors d’une marche, en 1973, il déclare que « c’est le mariage des Lip (société horlogère ayant déposé le bilan en 1973 mais dont les ouvriers reprennent l’activité) et du Larzac ». Sa mort, dans un accident de voiture, en mai 1984, à 53 ans, l’empêchera de voir la création de la Confédération paysanne en 1986 (à laquelle José Bové participa), prenant le relais des « Travailleurs Paysans ».