Lui, on en est sûr, ne dira rien
Nous avons tous le souvenir de ce jouet, de cet objet inanimé à la forme réconfortante et aux couleurs bien souvent chatoyantes. Il n’était qu’un jouet parmi d’autres et pourtant ce n’était pas qu’un jouet. C’était le plus beau, le préféré, l’irremplaçable, pour des raisons parfois évidentes, parfois insaisissables. C’est celui dont nous parlons en premier lorsque nous nous remémorons notre enfance, celui qui, d’une manière ou d’une autre, aura marqué notre vie.
Pour le jeune réalisateur Thomas Riera, ce jouet est un petit poney en plastique prénommé Pêche, et c’est à lui qu’il consacre son premier film, Pêche mon petit poney. Il était devenu son ami, un confident à qui il pouvait parler librement de ses interrogations sur l’amour et de ses premières attirances pour les garçons. Mais Pêche avait une particularité : il était, semble-t-il, destiné aux filles… Ainsi, le réalisateur mène l’enquête et tâche de savoir si ce petit poney lui était réellement destiné. Au cours de ses recherches, il se confronte aux clichés, aux normes figées qui existent dans la société autour de la question du genre.
Issu de la résidence d'écriture 2010 d'Ardèche Images à Lussas, ce documentaire est remarquablement construit autour de deux histoires qui s’entrecroisent et se complètent. Il y a tout d’abord l’histoire d’un cheminement… celui d’un enfant, d’un adolescent puis d’un adulte, qui a grandi au fil de ses interrogations, de ses doutes, qui comparait ses désirs à ce qui l’entourait et ne comprenait pas pourquoi il ne se sentait pas en accord avec. Alors l’insouciance que l’on croit inhérente à l’enfance se révèle parfois n’être qu’une apparence, un coffre fort dans lequel on garde précieusement ce que l’on ne s’explique pas, ce qui ne peut pas encore être exprimé, ni montré.
Images d’archives et reconstitutions touchantes de certains épisodes de l’enfance du réalisateur illustrent son parcours ; elles sont accompagnées d’une voix off à la fois perspicace et malicieuse qui laisse sentir que l’enfant et l’adolescent qu’il a été ne sont pas si loin…
Et puis il y a l’adulte. L’enfant est désormais un homme qui prend du recul sur son passé, ose enfin parler, et réfléchit aux questions soulevées à la fois par son homosexualité et son petit poney. Comment un jouet peut-il être destiné à des filles ou à des garçons ? De quelle manière sont créées les normes et les codifications relatives au genre ? Quel est l’influence de la sphère commerciale sur ces représentations ? Comment se détacher des clichés et des préjugés ? Avec pour fil conducteur Pêche son petit poney, il part à la rencontre de ceux qui peuvent l’aider à enrichir cette belle et nécessaire réflexion.
« Le sexe c'est ce que l'on voit, le genre, c'est ce que l'on ressent » (Dr Harry Benjamin), telle pourrait être la devise du premier film très réussi de Thomas Riera. Avec délicatesse et humour, le réalisateur raconte, explique, interpelle et amène le spectateur à s’interroger sur des idées qu’il croit acquises, des normes dans lesquelles il est trop facile de se blottir.
En ce sens Pêche mon petit poney est un documentaire original et marquant, qui laisse entrevoir un avenir prometteur à son réalisateur…