Les historiens d’art apprendront peu de ce documentaire de Lisa Immordino Vreeland. Mais ils se régaleront comme les néophytes, de voir évoluer, contre vents et marées, à l’instar de sa propre famille, et de celle de l’académisme ambiant, ce tourbillon pollinisateur qu’a été Peggy Guggenheim en matière d’art moderne et contemporain, et d’art en train de se faire.
Autodidacte passionnée, radicalement désintéressée, et déjantée avec en ligne de mire l’anticonformisme, celle, vue par les siens comme un « vilain petit canard », ou « mouton noir », va se révéler dans le soutien, la mise en exergue des plus grands noms de l’art vivant du siècle passé.
Elle va cotoyer le Paris des années folles, du dadaisme, du surréalisme, la bohème de Montparnasse, où elle dénichera un mari qu’elle n’appréciera comme elle dit « qu’après coup » car leste en coups et blessures...
Elle sera une très proche de Becket (dans tous les sens du terme), une amie de Duchamp, qui lui apprendra tout. Elle se mariera avec Max Ernst après avoir permis son exil aux Etats Unis (il ne lui sera pas très fidèle)... Qu’à cela ne tienne, cette orpheline d'un père qu'elle adorait, disparu avec le Titanic, se fera connaitre dans le New York épargné par la chape de plomb européenne, par sa toute première galerie « Guggenheim jeune », en clivage avec son oncle Solomon, et pourtant découvreuse de Cocteau, Brancusi, Arp, Kandinsky, Calder, et aussi Lucian Freud…
L’on voit Brancusi dire « l’art contemporain est une escroquerie », et Cocteau, « non un mirage… ».
C’est au moment de l’imminence de la guerre en Europe, qu’elle acquiert à Paris pour une poignée de centaines de dollars, ou parfois pour rien, une importante partie de sa future collection, sans avidité, sans calcul, mais avec le souci de suivre sa passion, et d'épargner ces oeuvres méconnues de la destruction nazie, en tant qu’art dégénéré, tandis que le Louvre refuse de les sauver car vues comme mineures. Elle ne sauvera pas que les tableaux de la folie meurtrière nazie, mais aussi les peintres…
Puis elle poursuivra son idéal de passeuse de l’avant garde, ouvrira une nouvelle galerie à New York, « Art of this century », de 1943 à 1947, qui sera un lieu d’échange fécond et inédit, où elle contribuera entre autre, à la reconnaissance de Jason Pollock, qu’elle soutiendra avec Mondrian, avant tout le monde. Elle sera une pionnière infatigable pour défricher l’expressionisme abstrait américain.
Sa trajectoire d’addict à l’art et à l’amour de l’art comme des êtres, va se parfaire au Palais Venier dei Leoni de Venise, à raz de l’eau du Gran Canal, où son immense collection est visible, et visitée par des millions de gens. Ce lieu où elle a vécu avec amants, chiens, et sa fille Pegeen, fut une sublime et intense demeure. Calder y a fabriqué son lit. L’on y croise la fameuse sculpture Marino Marini, au phallus amovible. Peggy y repose depuis sa mort en 1979, dans son jardin, avec ses chiens. C’est un endroit incroyablement charmant. Rien à voir avec le musée de l’oncle Solomon Guggenheim, sorte de parking comme Peggy le qualifiait, une spirale sans âme, ni émotion…
Bref ce documentaire de Lisa Vreeland, construit comme une large œuvre biographique, mêlant habilement une longue interview de Peggy en voix off, et de nombreuses photographies d’archives, et d’œuvre d’art, des témoignages de critiques ou historiens d'art... est un remarquable hommage à une véritable artiste en soi, dont la vie ne s’est jamais départie de l’avant-garde, de l’innovation, de la radicalité…
Intervient même De Niro dont ses deux parents artistes peintres ont été exposés par Peggy...
Elle a pourtant longtemps été décriée, dénigrée, prise pour une OVNI, y compris par les artistes eux même, qu’elle a pourtant toujours accueilliis à bras ouvert… Elle est désormais reconnue comme une créatrice originale à part entière.
Que reste t'il à l'issue de ce documentaire palpitant, celui de le revisionner encore et de retourner à Venise...