Lorsque j’ai découvert Peking Opera Blues au début des années 2000, je freinais des quatre fers tant l’opéra, et particulièrement celui de Chine me laisse indifférent, voire m’irrite. C’est un art traditionnel très important en Chine, mais la musique souvent très stridente a tendance à me vriller les tympans. Bref, Peking Opera Blues ne partait pas gagnant, et le nom de Tsui Hark au générique, mon réalisateur préféré depuis la monstrueuse claque que fut la découverte de The Blade dans la deuxième moitié des années 90, n’y changeait rien. Et pourtant, la magie a opéré, et pas qu’un peu, au point que ce bon gros fourre-tout est devenu est de mes films préférés du réalisateur à barbichette et c’est avec une énorme joie que je ressors de ce quatrième visionnage tant Peking Opera Blues est un melting poat de ce que faisait de mieux le cinéma de Hong Kong. C’est un film clairement à ranger du côté des meilleures productions de la Film Workshop, aux côtés de The Lovers, The Blade, The Killer ou encore Histoire de Fantômes Chinois.
C’est assez compliqué de définir en quelques mots Peking Opera Blues tant le film de Tsui Hark mélange constamment les styles. On va du polar au drame en passant par la comédie et l’action, sans oublier la romance le tout sur fond de Chine des années 1910/1920. Et alors que certains se prennent les pieds dans le tapis lorsqu’il faut marier seulement deux styles, c’est assez impressionnant de voir avec quelle fluidité tout ce mélange ici à la perfection, sans que jamais un style ne prenne le dessus, sans que jamais cela ne donne un résultat artificiel. Peking Opera Blues va enchainer des scènes toutes légères de romance, des gunfight bien énervés, des gags, des scènes bien violentes (la scène des coups de fouets très puissante dans tous les sens du terme), des quiproquos comiques et même des scènes de fight, nous faisant passer par toutes les émotions comme un tour de grand huit ou de train fantôme. Mais Peking Opera Blues, c’est aussi et surtout trois portraits de femmes comme Tsui Hark aime les faire, au point que ce trio d’actrices les plus en vogue à ce moment-là à Hong Kong va voler la vedette aux rôles masculins (et ça semblait être le but). Le film va reposer sur ces trois personnages très différents, de différentes classes sociales, et pourtant si similaires au fond. On a d’un côté Cherie Chung (An Autumn Tales, Banana Cop) qui incarne un personnage cupide, matérialiste, à la recherche d’une boite de bijoux. Nous avons ensuite Sally Yeh (The Killer, I Love Maria) qui joue la fille du chef de la troupe d’opéra, frustrée de ne pas pouvoir elle aussi monter sur scène à une époque où ce sont les hommes qui interprètent des femmes (Le titre chinois se traduit par “Knife Horse Actresses”, un terme utilisé dans l’opéra de Pékin pour désigner les acteurs masculins jouant des femmes guerrières). Et enfin il y a la sublime Brigitte Lin (The Bride with White Hair, Zu) dont le personnage joue un double-jeu, d’un côté fille bien aimée de son père général, et de l’autre espionne dans la résistance de l’époque. Elle y incarne une fois de plus ici avec brio ce personnage androgyne qui la suivra toute sa carrière, plus charismatique que jamais, et écrasant par sa présence tout le reste du casting. Aux trois demoiselles va se rajouter un joli casting masculin de têtes connues du cinéma de Hong Kong qui ravira les amateurs de cette époque du cinéma de Hong Kong.
Peking Opera Blues est un film ultra rythmé et qui pendant 1h45 ne va laisser aucun temps de répit au spectateur. On sent que Tsui Hark a réalisé ce film avec amour et qu’il y a mis toute ses tripes pour que les différentes thématiques qu’il aborde parlent au public et qu’il remporte l’adhésion. Il ne s’est pas trompé puisque le film, avec ses 17M$HK de recettes, est un joli petit succès au box-office et fut même nominé six fois aux Hong Kong Film Awards (mais repartira sans statuette). Considéré par certains comme le film de l’affirmation pour le cinéaste, Peking Opera Blues va aborder de nombreuses thématiques comme la loyauté, l’honneur, l’amitié, le rôle et la place des hommes et des femmes dans la société, l’histoire en choisissant bien son époque, et bien entendu l’amour. Tsui Hark sait comment développer ses personnages, comment les mettre en valeur, et bien qu’ils évoluent au final dans un scénario assez complexe, avec différentes sous intrigues, jamais le film ne nous laisse sur le bas-côté. Une fois encore, il est possible d’admirer l’inventivité de sa mise en scène et la façon dont il va utiliser le petit nombre de décors sans que cela ne devienne redondant. Les scènes d’opéra, peu nombreuses au final, sont un régal pour les yeux avec leur avalanche de couleurs, même pour les allergiques comme moi. Les scènes plus légères, façon vaudeville, donnent immédiatement le sourire. Les scènes d’action, chorégraphiées par Ching Siu-Tung, courtes mais percutantes, viennent amener du piquant et de la folie à l’ensemble. Tout cela fait de Peking Opera Blues un film très captivant, drôle et triste à la fois, qui sait être très intense quand il le faut. Un spectacle éblouissant à bien des égards, sublimé une fois de plus par l’excellent score de James Wong (Histoire de Fantômes Chinois, Une Balle dans la Tête), dont on ressort avec un gros sourire aux lèvres. Clairement un film que je continuerai de revoir régulièrement avec toujours autant de plaisir.
Considéré par certains comme le meilleur film de Tsui Hark, Peking Opera Blues est quoi qu’il en soit un des films phares de la Film Workshop que tout amateur de cinéma de Hong Kong se doit d’avoir vu. Un spectacle hautement divertissant et surtout un grand film.
Critique originale avec images et anecdotes : https://www.darksidereviews.com/film-peking-opera-blues-de-tsui-hark-1986/