Le fantastique documentaire d'Asif Kapadia a semble-t-il donné des idées à certains, puisqu'après celui dédié à Michel Platini sur Canal+, c'est le roi Pelé qui a les honneurs de Netflix avec un solide documentaire s'appuyant sur de nombreuses images d'archives. Et l'immersion est aussi réussie que dans les autres projets cités. Edson Arantes do Nascimento dit Pelé est considéré par les anciens suiveurs du foot comme le plus grand joueur de l'Histoire, et on a tendance à leur faire confiance puisqu'ils sont les mieux placés pour comparer les joueurs des générations suivantes. Les Maradona, Cruyff, Beckenbauer, Platini, Zidane, Messi, CR7.
Pour rendre un documentaire intéressant sur un footballeur, il faut que la vie personnelle révèle quelque chose du sportif. On peut ainsi chasser l'idée de voir un jour un documentaire intéressant sur Franck Leboeuf ou Lionel Charbonnier. Et Pelé est une personnalité clivante. Première grande star du football de l'ère médiatique, le génie brésilien traîne une image de footballeur hors norme et de businessman vénal qui expérimenta la fonction de sportif homme sandwich pour X marques.
Et les deux aspects du joueur sont abordés dans ce documentaire sans trop de complaisance. Les prouesses sur le terrain sont admirablement restituées à l'aide d'images d'archives d'une qualité exceptionnelle (notamment durant la coupe du monde 70) et des images d'entraînements où la puissance de Pelé, filmé à quelques mètres, explose littéralement sous nos yeux et évoquent la vélocité des joueurs modernes. Ayant souvent cherché à prendre la mesure de ses exploits via des VHS merdiques ou des vidéos pixelisées sur Youtube, pouvoir enfin admirer ce dont était capable le "Roi" est une forme de justice qui est rendue au Brésilien, qui n'a pas eu la chance d'évoluer à une époque où chaque match est filmé par X caméras, et où tous les gestes techniques sont isolés et disséqués avec des ralentis et des loupes.
Mais ce qui fait la différence avec bon nombre de reportages et films laudatifs sur lui, c'est le traitement des sujets qui fâchent. Oui il a beaucoup trompé sa femme, oui il a multiplié les contrats publicitaires pour se faire un maximum de fric. Son statut d'icône absolue du sport le plus suivi du monde, est couplé à son silence coupable devant les dictatures qui ont frappé le Brésil. Pelé n'a pas tourné le dos publiquement à la dictature militaire de Branco, responsable de la mort et de la torture de milliers d'opposants entre 1964 et 1985.
Les questions sont honnêtes et frontales, les réponses le sont tout autant. Pelé est un vieil homme très diminué, trop fatigué pour éluder les questions, il admet qu'il entendait parler d'exactions horribles, mais n'en avait pas la preuve. Ce que l'on peut croire quand on a la tête dans le ballon toute la journée et qu'on passe son temps en avion. Et la meilleure défense ne vient pas de lui, mais d'un intervenant qui résume très bien l'opposition dans laquelle on a l'habitude de placer Pelé. On lui reproche son manque de courage, et le fait de ne pas s'être élevé contre le régime, à la différence d'un Mohamed Ali contre son gouvernement, ou des déclarations politiques de Maradona contre les USA.... La différence se situe dans la liberté d'expression octroyée dans une démocratie par rapport à celle inexistante dans une dictature. Ali refusant de faire la guerre du Viet-nam a été empêché de combattre pendant des années, ce qui est scandaleux et injuste, mais il n'a pas risqué une seconde de se faire torturer, lui ainsi que sa famille, comme cela aurait pu être le cas de Pelé, s'il lui était passé par la tête une bravade contre ces cinglés à la tête du pays. Cela étant dit, les Etats-Unis ont une longue histoire de violence qu'il ne faut pas sous estimer.
Mais Maradona n'a jamais risqué les geôles de son pays en crachant sur les dirigeants argentins. Il gardait ses pics pour un combat un brin consensuel contre l'impérialisme américain du fond de sa villa de Naples entre deux lignes de coke. Une image de courage politique un peu facile quand on ne risque pas de se faire planter des clous rouillés dans les couilles pour un mot de travers envers le président de son pays. Car Pelé n'a pas quitté son pays pour exercer son métier (sauf en fin de carrière avec l'aventure New-York Cosmo), et restait à la merci des sbires de Branco.
Ainsi Pelé a l'image injuste d'un collabo du régime militaire brésilien alors qu'il s'est contenté d'avoir un profil bas, car il ne pouvait bénéficier d'une sécurité lui permettant une liberté de parole minimale.
Ajoutons à cela un complet désintérêt pour la chose politique, et une fragilité mentale étonnante durant ses dernières années d'activités. La coupe du monde 70 présentée comme l'apogée de sa carrière était en réalité une souffrance qu'il chassa en finale en criant dans les vestiaires "Je ne suis pas mort" après la victoire finale contre l'Italie (c'est un spoiler désolé).
Contesté par un entraîneur un peu con, considéré par les adversaires comme un joueur fini, et trop fragile, il répond avec une compétition historique où tout y passe : sa frappe du milieu de terrain, sa passe plus ou moins aveugle en finale contre l'Italie, et le grand pont sur le gardien sans toucher le ballon, et ses buts... Un récital technique où il est bien aidé par la plus grande équipe brésilienne de l'Histoire.
Reste un vieil homme aux doigts tordus, qui se déplace en déambulateur et qui pleure au moment d'évoquer cette fameuse coupe du monde 70. Émouvant.
PS : J'ai halluciné en constatant qu'en 70, le Brésil avait des chaussettes grises et non pas blanches, comme je l'ai toujours pensé. C'est vraiment un détail à la con, mais ça m'a totalement bouleversé.