Palme d'or 1988 ! Trophée phare... Sauf qu'il est trop lié au cinéma d'auteur, par nature assez élitiste, donc plus référence pour les cinéphiles mordicus et les cultureux snobinards que pour le grand public. Or, c'est bien ce dernier que cible ce film, dont la note populaire est le meilleur atout. "Du Pagnol à la danoise", dixit un critique. Mieux : entre Dickens ("David Copperfield") et Hugo ("Les Misérables"), l'épopée racontée suscite la même émotion rare que "L'Emigrant", de Chaplin !
Emigrant. Terrible condition, fin 19e siècle, pour un homme usé et son jeune fils de 10 ans. La mort de la mère et la misère en Suède les font s'embarquer pour une fausse terre promise, le Danemark. Ils se retrouvent à "bouffer de la vache enragée" comme... vachers ! Pelle comprend petit à petit que le rêve de prospérité entretenu par son père n'est qu'une illusion lui permettant de supporter, jusqu'à la lâcheté, son désarroi d'éternelle victime.
La caméra s'apitoie sur leur nouvelle vie, façon serfs du Moyen âge : travaux pénibles et ingrats ; brimades répétées ; paillasse de coin d'étable ! Pelle continue à vivre "l'enfance nue" qui est la sienne depuis le début. Son refuge, jardin secret, c'est la nature, avec sa beauté si apaisante et enjolivante. La reconstitution de la ruralité d'alors défie le pointillisme d'historien. A la fin, en rupture d'injustice et en quête d'amitié, il y a un jeune conquérant partant, seul, vers l'Amérique...
Triomphe cannois mérité pour Bille August... Mais ni son style d'évocation, ni les superbes images ne peuvent mieux séduire que l'interprétation en vedette. Max Von Sydow et l'adorable Pelle Hvenagaard bouleversent aux larmes en incarnant ce duo père-fils soudé dans une condition aussi peu humaine !
Coeur chaviré, yeux embués, on ne peut qu'être...conquis !