The Post est une ode au premier amendement concernant la liberté de la presse. Ce sujet n'est pas seulement ce qui intéresse Steven Spielberg dans le film. Le féminisme et le patriarcat sont aussi des thèmes qui enrichissent le récit, et c'est à travers le personnage de Kay Graham, interprété par Meryl Streep que le message va être passé.


Une femme sous influence

Katharine est l'actionnaire majoritaire du Washington Post, journal qui appartenait initialement à son père, puis léguer au mari de Kay, avant qu'elle en hérite elle-même à la mort de celui-ci. Ce journal est plus qu'une entreprise, il a une valeur sentimentale à ses yeux et souhaite le faire prospérer du mieux possible.
N'étant pas destiné à occuper ce poste à haute responsabilité, Kay a du mal à s'imposer dans un monde dans lequel les hommes sont majoritaires et habitués à être décisionnaires. Elle a des difficultés à faire entendre ses arguments lors des réunions d'actionnaires, se fait remballer par Ben Bradlee (Tom Hanks), le rédacteur en chef du journal, lorsqu'elle tente de lui faire des suggestions concernant la ligne éditoriale du Washington Post. Katharine dirige le journal et malgré cela, elle est constamment reléguée au rang de faire valoir.
Pourtant, une séquence va tout changer, Kay va inverser la tendance en prenant une décision avec conviction. C'est sur cette scène que nous allons nous attarder.


L'extrait : https://www.youtube.com/watch?v=GY5upEaBW-k

L'enjeu est le suivant : Katharine avait précédemment autorisé la publication des documents attestant que le gouvernement envoyait inutilement les soldats se battre au Vietnam. Nous apprenons par la suite que la source qui a délivré les documents au Post est la même qui a informé le New York Times leur permettant de publier une étude sur le sujet. Elle va devoir prendre la décision de confirmer son choix au risque de poursuite pénale ou de se rétracter.
Les actionnaires, les conseillers juridiques et Ben Bradlee se retrouvent chez elle en pleine nuit pour tenter de l'influencer.


Une reine déchue

Comme nous pouvons le voir au début de l'extrait, Katharine est assise, les autres personnages se déplacent dans le cadre pour l'encercler. Elle est au centre de l'attention pourtant, elle est en position de faiblesse. Étant la seule femme dans la pièce, elle est en infériorité numérique. Sa tenue vestimentaire, une robe, s'apparentant à une robe de hippie ou une chemise de nuit la rend moins apprêtée contrairement à ses interlocuteurs vêtus de costumes. Le fait qu'elle soit assise lui confère une posture de dominer alors que les hommes sont majoritairement levés. De plus, ils pénètrent dans son espace vitale (49e seconde), écrasant le personnage et envahissant le cadre. Avant même que Kay ait décroché le moindre mot, la conversation est déséquilibrée
L'avenir du journal est entre ses mains, néanmoins, on s'aperçoit à la 31e seconde de la vidéo qu'elle n'est qu'au troisième plan toujours encerclée, Ben Bradlee occupant le premier plan. La présence de Bradlee continue d'accaparer le cadre en faisant des allers-retours devant elle, bien que Spielberg la filme (47e seconde). Meryl Streep accentue elle-même cette domination masculine en ayant la tête baissée, la main devant ses yeux, consciente de la gravité de la décision à prendre (49e seconde).


Le vrai pouvoir ne se donne pas, il se prend.

Cependant, les choses vont radicalement s'inverser, en se levant de sa chaise, elle se libère symboliquement des chaînes auxquelles elle était attachée (1 min 20), elle rééquilibre physiquement le rapport de force. Cette fois-ci, c'est elle qui occupe la parole. On peut constater à 1 minute 40, qu'elle est au centre du cadre, placée entre Tom Hanks (celui qui veut publier), Bradley Whitford (celui qui est contre la publication) et Tracy Letts (l'indécis). Toutefois, aucun personnage ne vient s'interposer devant le cadre ou ne l'interrompt. Lorsque Fritz tente de le faire en la pointant du doigt, un geste de la main de Kay suffit à repousser ce doigt avertissant (1 min 44). Quand c'est au tour d'Arthur (Bradley Whiteford), en plus du même geste effectué précédemment, c'est avec un ton autoritaire qu'elle l'invite à se taire (2 min 03).
Spielberg la filme en contre-plongée (2 min 20), la domination de Katharine est sans contestation possible. On peut observer que le rapport de force à changé de camp dans le placement des acteurs, Fritz est au premier plan mais assis, et elle reste debout.
Le coup de grâce de sa domination vient à 2 min et 34 secondes, Spielberg opère un travelling avant, lorsque Katharine s'invite dans la zone de confort d'Arthur, son opposant le plus direct. Le regard conquérant, le défiant en le dévisageant de haut en bas, lui rappelant que ce n'est plus l'entreprise de son père, ni celle de son mari, mais la sienne.
S'ensuit la décision ferme et définitive de Katharine de publier les documents malgré les risques encourus. À ce moment-là, elle est debout au premier plan, face à la caméra, le ton apaisé, dominant le cadre en écartant ses bras (2min52) . Elle finit par quitter la pièce, comme la dirigeante qu'elle est enfin devenue.


Dans une scène précédente, Katharine, en conversation téléphonique avec Ben Bradlee et Arthur, prenait la décision de diffuser les documents, mais le ton de sa voix était encore trop hésitant, la conviction de son choix pas encore acquise. C'est la séquence décrite ci-dessus qui est pivot et lui permet enfin de prendre son envol afin d'assumer pleinement ses responsabilités.


PS: le plan que l'on peut voir à 1 min19 est inspiré du tableau intitulé The Jury Room créé par l'artiste peintre Norman Rockwell. L'un des artistes favoris de Steven Spielberg, qu'il cite à de nombreuses reprises dans sa filmographie.

Chris Tophe

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