Boredom of press
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le 7 févr. 2018
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Trente-et-unième du super-actif Steven Spielberg, The Post revient sur l'évènement journalistique qui secoua la présidence américaine de 1971 avant même l'affaire Watergate : les Pentagon Papers, documents secret-défense qui prouvaient l'implication des Etats-Unis dans la guerre du Vietnam pour étendre et intensifier le conflit, et que le Washington Post décida de rendre publique dans leurs papiers... Après trente films, Spielberg est loin d'être fatigué et livre à travers cette histoire un film d'une richesse vertigineuse, dans la forme comme dans le fond.
Avec The Post, Spielberg invoque d'abord avec une grande maestria le cinéma américain des années 70. Il sait ce qu'il fait et le fait bien, puisqu'il y est né. On pense incontestablement aux Hommes du Président de Pakula, bien sûr, mais aussi aux Trois Jours du Condor de Pollack, Conversation Secrète de Coppola ou encore Network de Lumet... Cette aura émane de la superbe reconstitution des décors, des vêtements, sans appui des clichés, mais aussi la texture de l'image et les lumières de Kaminski sublimées par la pellicule. Hôte du Nouvel Hollywood, monument de modernisation et de contre-culture, ce médium 70's parfaitement maîtrisé est surtout l'occasion pour Spielberg de dresser un parallèle évident et implacable avec l'Amérique d'aujourd'hui, qui en haut lieu interroge les notions de vérité et demeure un environnement gravement patriarcal.
Ainsi le film se révèle pluriel, où le fond et la forme sont en osmose totale, dans une synchronie qui relèverait quasiment du surnaturel. C'est de prime abord un film de guerre : Spielberg n'y a jamais autant joué de la caméra portée depuis le Soldat Ryan, mais il use aussi du grand angle quasi omniprésent et du mouvement ample de la steady-cam pour filmer le gigantisme de l'acte de guerre qui s'offre à nous, contre un ennemi titanesque et invisible caché dans les fondations du décorum... En parallèle du contexte du Vietnam - qui offre d'ailleurs une magnifique séquence d'ouverture - ce contexte et son ouverture dirigent vers le récit d'une lutte, de la contestation dans l'art d'écrire et de reconstituer.
Après un premier acte tout en sobriété qui installe chirurgicalement les faits et ses protagonistes, le film glisse progressivement vers un certain sens du spectaculaire, un caractère subtilement épique qui traduit toute la puissance de l'acte de ces journalistes. En résulte des moments de bravoure fantastiques : par exemple l'appel décisif pour autoriser la diffusion des fameux papiers, échange pluri-dimensionnel où le découpage des plans et les mouvements aériens du cadre insufflent une âme définitivement hitchcockienne ; ou encore l'impression décisive du journal qui, dans toute la finesse de son allégorie, secoue littéralement les murs et fait trembler les fondations du pays.
Mais là où résonne la plus grande force de The Post, c'est sa chronique draconienne de l'émancipation féminine. À travers ce caractère s'impose alors un Spielberg plus pictural dans sa mise en scène, plus prononcé dans la composition des plans. C'est une dimension qui offre une véritable allégorie de la figure, de la présence des corps à l'écran. D'une part pour exprimer la tension et l'urgence avec des environnements de foule toujours en mouvement et essentiellement masculine ; mais aussi pour magnifier la présence du personnage le plus important de cette histoire : Katharine Graham, interprétée par une Meryl Streep en or massif. Elle part de l'ignorance exécrable de ses pairs masculins, étouffée au troisième plan entre deux figures masculines imposantes au premier et second plan. Puis elle avance, évolue dans le cadre, jusqu'à s'imposer dans une symétrie parfaite au milieu d'un couloir d'hommes, magnifiée, victorieuse.
La présence de Tom Hanks, excellent au demeurant, n'y changera rien : le personnage de Katharine est celui auquel on s'identifie le plus, car en plus d'embrasser la mise en scène, c'est aussi à travers elle que le réalisateur invoque sa notion la plus courante et universelle, celle de la famille. Plus particulièrement ici la notion d'héritage, qui se révèle être la racine cachée et clé de ce film : comme le personnage de Streep qui cherche à être digne de son paternel, tout comme l'invocation du cinéma des 70's nous ramène aux problématiques actuelles, ce sous-texte est la piqûre de rappel d'un acte de courage, d'un devoir de liberté et d'égalité qu'il nous faut conserver.
On pourra reprocher à The Post de démarrer doucement, le temps d'installer son intrigue et ses personnages, mais c'est pour mieux révéler une énergie incroyable, égale à sa richesse. Spielberg y dresse le médium cinéma comme prophète de vérité, une belle et puissante vérité, qui résonne de façon toute particulière aujourd'hui à l'heure où sont sermonnées les "fake news". Thriller politique haletant, portrait féministe touchant, porté par deux monuments en tête d'affiche, ce dernier cru Spielberg est autant une forte leçon de cinéma qu'un exercice important et essentiel.
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Créée
le 28 janv. 2018
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