Lorsque le cinéma français s’ose à l’exotisme de ses colonies, c’est l’occasion de petits miracles visuels comme ce film de Duvivier, aussi à l’aise pour évoquer l’urbanité parisienne (Panique) qu’algéroise.
La ville et son quartier si pittoresque ouvrent le film, véritable documentaire qui tisse avec malice l’écheveau inextricable de la tragédie à venir : un entrelacs de ruelles tortueuses que seuls les habitants maitrisent, et dans lequel règne en maitre Pepe, gangster au grand cœur que la police, en terrain inconnu, ne peut appréhender.
Film de bande, où l’argot des truands machistes et virils ponctue les portraits lumineux et nimbés d’une savoureuse artificialité, Pepe le moko s’attache à caractériser une galerie de personnages secondaires aussi attachants que singuliers, déclinaison de Scarface où le crime se pare de toutes les séductions d’une activité libertaire et enfantine.
L’interaction entre le protagoniste et ce décor si original fait toute la saveur de l’intrigue : loin d’être le maitre des lieux, Pepe en est le prisonnier : sortir de la casbah contribue à signer sa reddition. Les parcours dans le quartier carcéral, les incursions audacieuses vers la ville et la mer sont les véritables enjeux du récit. L’amour lui-même est une tentative d’échappée : vers Paris, grand motif nostalgique du film, âge d’or et lointain géographique qu’on sait ne pouvoir retrouver, comme en témoigne Fréhel, cette ancienne gloire de la chanson se passant le disque de sa jeunesse.
Dans cet environnement retors, le policier rival Slimane brille par sa singularité. Petit coryphée perfide, d’une patience perverse, il commente la destinée de Pepe tout en en modifiant quelques composantes, maitre de la géographie des lieux qui deviennent sous sa coupe un véritable jeu de plateau dont Pepe serait le pion.
[Spoils]
Tragédie urbaine, ode à une liberté perdue, Pepe le moko ne propose une trajectoire que pour mieux la briser dans son élan : alors que le bateau part, achevant l’impossible réunion avec l’aimée et la mère patrie, Pepe meurt doucement le visage entre deux barreaux, mais le cœur au large.