"C'est mon père. Je l'aime si fort."
Accrochez-vous les gars, Sokourov parle d'amour. Et quand il parle de quelque chose, on n'a plus qu'à se taire et à admirer. Je ne vais pas le cacher, je suis fou de Alexandre Sokourov, que je classe dans mes 4 ou 5 réalisateurs fétiches. Mais rien ne me préparait à un film comme Père, fils qui n'est pas dans la droite lignée de ce que j'avais pu voir du cinéaste russe. Oui, Père, fils, est un film plus lumineux, et plus découpé que certaines oeuvres de Sokourov (au hasard, Pages cachées ou le Deuxième Cercle, ballades mortifères et dépressives d'une rare intensité). Le film est d'ailleurs plus rêche et moins fuyant, élégiaque que les autres films de Sokourov que j'ai vu. Il y a ici une histoire beaucoup moins obscure et accessible ainsi qu'une narration plus claire, plus limpide.
Mais la patte de l'artiste est toujours là : plans distendus, images filtrées comme détachées du réel, impression d'être dans un ailleurs, dans un flottement entre deux mondes, deux dimensions, ambiance sonore énigmatique. L'onirisme et la poésie ont toujours été les dénominateurs communs de l'oeuvre de Alexandre Sokourov et Père, fils n'y échappe pas. Et c'est peut-être même parce qu'il puise dans le réel davantage que dans certaines de ses Elégies ou de ses films les plus sombres que le film est aussi puissant et beau.
Père, fils parle, en effet, d'amour entre un père et son fils. Mais il s'agit d'un amour presque charnel, presque érotique, pas d'une simple amitié solide entre père et fils. A ce titre, la première scène du film est évocatrice : on y voit paternel et progéniture enlacés comme deux amants, le premier consolant le second de son cauchemar où il se voyait commettre un parricide. C'est bien ce caractère corporel qui est au coeur de ce film, a priori plus abrupt que d'habitude chez Sokourov. Rarement ce dernier n'aura filmé avec autant d'attention et de soin ces corps du père et du fils qui s'enchevêtrent ou qui se battent (la lutte, passage clé du film).
C'est que cette passion père-fiks est destructrice. Elle écrase tout sur son passage et notamment l'amour sincère que porte Alexei, le fils, pour sa chère et tendre. Ceux-ci sont toujours séparés par la mise en scène, jamais réunis dans le même plan. Comme pour signifier leur incommunicabilité, c'est même une fenêtre qui les sépare lors de leur première rencontre. Et plus tard dans le film, lorsqu'ils se revoient, Alexei lui annonce qu'en songe, il a d'abord vu son père, puis entendu leur bébé.
Pourtant, Sokourov ne filme jamais cette passion autrement qu'à travers cette douceur flottante (les sons lointains sonnent comme des invitations au voyage) qui caractérise son style. C'est ce qui fait toute la beauté et la puissance tranquille de ce film lumineux et magnifique.