La vie à coups de javel
Perfect Days version Wim Wenders, c’est la chanson au singulier de Lou Reed, sans l’âpreté de la voix de Lou Reed, sans l’ambiguïté de son “You’re going to reap just what you saw”, geste de...
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L’année 2023 aura été chargée pour Wim Wenders, ce qui n’était pas forcément engageant au vu de sa production récente : après le passionnant documentaire Anselm, le cinéaste embarque pour Tokyo où il tourne, en 17 jours, le quotidien d’un agent chargé de la propreté des toilettes publiques. Le dispositif minimaliste est d’emblée assumé : format 1.33, caméra mobile suivant un protagoniste dont la journée type se décline à la manière d’un journal, dans une solitude sereine organisée autour du travail, des obligations toujours à l’extérieur (les bains, le pressing, les repas) et quelques incursions d’une poésie personnelle : récupérer des boutures dans les parcs ou photographier les arbres en contre plongée. Hirayama (qui porte le nom du dernier protagoniste de la filmographie d’Ozu dans Le Goût du Saké, il y a plus de 60 ans) entraîne ainsi le spectateur dans une déambulation très référencée, que ce soit par la musique qu’il écoute dans sa voiture permettant un best of très Wenders (Lou Reed, Patti Smith, Les Kinks…) ou sa lecture de Faulkner, avec ce snobisme intello qu’on peut retrouver dans certains films de Jarmush.
L’agacement pourrait rapidement s’installer, d’autant que l’odyssée proposée dépasse les deux heures. Pourtant, le charme opère : par ce que le comédien Kôji Yakusho est irrésistible, mais surtout en raison de sa capacité à contempler et se tourner vers les espaces qu’il traverse. La problématique un peu inévitable du mépris pour son métier est certes évoquée au départ, mais elle est rapidement supplantée par les ébauches de conversations qu’il aura avec les autres points qui constellent sa toile quotidienne : au pressing, au restaurant, à la librairie, avant que ne débarque sa nièce pour une modulation en mode mineur sur le duo d’Alice dans les villes. Là encore, rien de fracassant d’originalité dans le choc des cultures entre l’ultraconnectée à Spotify et le tonton ermite, l’essentiel n’étant pas tant de les opposer que de colorer différemment les nouvelles pérégrinations, et comme le disait la libraire à propos d’un livre, utiliser les mêmes mots, mais avec un rendu différent.
Perfect days creuse donc le présent, et lui laisse le temps de surgir : « La prochaine fois, c’est la prochaine fois, et Maintenant, c’est maintenant », répète le binôme comme un mantra, pour pouvoir atteindre la perfection évoquée par le titre : une attention à l’indicible, à l’instant qui va permettre la formulation de la parole, sur les ruptures laissées en suspens, les départs ou l’imminence de la mort. Alors seulement, le poète philosophe aura accès au bruissement secret du monde, du feuillage des arbres au chevauchement des ombres, et jusqu’à la brillance de ses yeux embués dans un ultime trajet que seule la musique peut accompagner.
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le 29 nov. 2023
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