La vie à coups de javel
Perfect Days version Wim Wenders, c’est la chanson au singulier de Lou Reed, sans l’âpreté de la voix de Lou Reed, sans l’ambiguïté de son “You’re going to reap just what you saw”, geste de...
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Comment Wim Wenders est-il parvenu à filmer autant de toilettes dans jamais qu'on ne voit une seule trace de caca ? Pardonnez la question, mais celle-ci résume bien le sentiment qui m'a traversé pendant tout le film : est-ce une carte postale du Japon nichée sur le présentoir d'un kiosque occidental ou un film de propagande pour recruter des agents de nettoyage qui s’appellerait "Il n'y a pas de sots métiers" ? Perfect Days, pourtant plein de qualité, respire la fascination pour un Japon esthétisé, lissé, peuplé d'habitants et d'habitantes auxquels on a du mal à croire. La clé est dans le titre : perfection, idéal impossible qu'on ne peut atteindre que par autant d'intransigeance que de souplesse, autant de constance dans la tâche que d'acceptation de l'imprévisible. C'est ce que Wim Wenders tente de raconter via l'histoire un homme d'une incroyable invariabilité, mais ouvert - même maladroitement - aux aventures que la vie met sur son passage à travers des rencontres inattendues. Dans le monde d'Hirayama, les clodos sont poétiques, les toilettes sont propres, la nature est belle, le mépris social est anecdotique, et la pauvreté est une condition choisie du bonheur. En fait, Hirayama est un touriste dans sa propre vie, ou plutôt Wim Wenders est un touriste dans la vie d'Hirayama, personnage fantasmé qui existe dans un monde impossible, sans recul, sans critique, sans caca.
Redonnons à Wenders ce qui est à Wenders. Perfect Days a aussi des qualités, il est comme une berceuse : on se laisse faire, on suit la vie de cet homme magnifiquement incarné par Kôji Yakusho (que j'avais adoré dans le très bon Tampopo) dans son quotidien de tokyoïte solitaire laveur de toilettes. Parfois on décroche, on s'endort un peu, mais c'est pas grave parce que quand on se réveille on n'a rien raté, alors on reprend la douce musique qu'est ce film avec autant de langueur - le sommeil d'Hirayama est d'ailleurs magnifiquement représenté par des improvisations oniriques en noir et blanc. Au fil du récit, le quotidien tout en grâce et en dévotion du héros se retrouve légèrement perturbé par des incursions de personnages secondaires peu crédibles.
Pour terminer sur un joli plan du visage plein d'émotions contradictoires de Yakusho dans le lever du jour.
Wim Wenders nous donne à voir son amour pour un Tokyo folklorique : ses bains-douches, ses parcs, ses grandes routes enchevêtrées comme dans une fourmilière, ses bistrots d'habitués cachés, ses villages dans la ville où il y a encore des vieux en sandale qui vivent à vélo. On découvre avec plaisir les toilettes publiques de Tokyo, toutes différentes, toutes habitées par quelques anonymes passés par là, chacune nettoyée avec soin par notre héros zélé. Les scènes de lavage de toilettes (et d'Hirayama qui fait sa propre toilette, déciment très bon hygiéniste à tout point de vue !) sont de loin les meilleures.
Perfect Days aurait gagné à être un documentaire, recherchant la vérité de la vie d'un homme à travers l'image plutôt qu'un film qui en dit plus sur son réalisateur que sur son sujet. On peine à imaginer cet ouvrier japonais nostalgique qui n'écoute que des classiques occidentaux des années 70 (on notera l'absence totale de prise de risque de la BO) et qui sourit quand on l'insulte.
Les tentatives de densification du personnage (quand il s'énerve au téléphone contre son employeur ou qu'il discute avec un mourant au cœur pur au bord de l'eau) tombent à plat : on ne croit ni à ces sursauts d'extraversion, ni à cette intelligence émotionnelle impressionnante qui surgit comme un éclair divin de temps en temps.
Si je vois bien l'intérêt de représenter un fantasme, et que l'irréalité n'est pas forcément un problème dans une fiction, le soucis ici est que le personnage est filmé dans une recherche manifeste d'authenticité. Pas très réussie donc. Je laisse la conclusion à l'auteur Miguel Zamacois : "Il n'y a certes pas de sots métiers... Mais il y a ceux qu'on laisse aux autres".
Créée
le 18 mars 2024
Modifiée
le 18 mars 2024
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