"Performance" est, depuis sa sortie, un de ces films qualifiés de "culte" même si depuis on sait à quel point cette expression est depuis si longtemps vide de sens.
Pourtant, voilà un film qui pourrait mériter ce genre de qualificatif. Et à plus d'un titre.
Performance montre et parle d'une époque d'une manière plus qu'ambigue.
Il présente le swinging London, la mode hippie, l'avant-garde, la contre-culture, tout ce que le rêve des années 60 représente, au moment où le vent tourne (déjà). Il montre l'envers des choses, explique pourquoi et comment les choses changent irrémédiablement dès 1968.
Les premières minutes sont, à ce titre, parfaitement exemplaires. A une Rolls avalant les kilomètres sur une nationale anglaise dans un air swinging-pop vient immédiatement s'intercaler des images de corps dont on ne sait tout d'abord s'ils font l'amour ou s'ils sont au contraire soumis à l'exercice de la violence. La musique change elle aussi très rapidement, et l'ambiance devient sombre.
Ce n'est pas tant la confrontation entre le monde de la pègre et celui des artistes dont nous parle Performance mais bien plus le choc des cultures entre l'idéal d'une génération véhiculé par l'expression "swinging London" et l'Angleterre de 70 et ses institutions, et le film nous fait comprendre pourquoi la violence et la réalité de la vie "normale", dans tout ce qu'elle a d'hideux, sera forcément la plus forte.
La première partie est d'autant réussie qu'elle est aux antipodes de ce que sera la suite. Les gangsters londoniens sont plus vrais que nature, les acteurs brillants dans ce registre pourtant convenu. James Fox, personnage central de l'intrigue, est en tout point saisissant. Autant par sa virilité exacerbée au début de son parcours que dans le personnage ambigu et retourné, capable d'amour, qu'il semble être devenu vers la fin.
Ce qui rend l'ensemble si fort, c'est que l'équipe qui est derrière le film est elle-même au carrefour de tous les milieux qu'elle décrit. Donald Cammell à l'écriture et Nicolas Roeg à la réalisation sont issus depuis longtemps des milieux artistiques Londoniens ou Parisiens (Roeg s'est frotté à la nouvelle vague frenchy au cours des années précédentes).
Parmi les gens qui gravitent autour d'eux, il y a ces gens naviguant éternellement en eaux troubles. Qui sont effectivement un lien entre les différents univers (décrits par exemple par Keith Richards dans ses mémoires), entre cercles d'influences culturels et, par la présence forte des drogues, des milieux du banditisme.
Ce qui rend le film important à l'époque est qu'il présente des figures fortes de la vraie contre-culture du moment. Mick Jagger n'est pas encore le dandy-gendre idéal qu'il sera 10 ou 20 ans plus tard, il est encore le héraut du groupe sale et dangereux dont le pouvoir à peur. Il est l'auteur des "Street Fighting Man", "Brown Sugar" ou "Jumpin' Jack Flash" qui sont les hymnes des contestations de la rue qui se multiplient partout dans le monde occidental. Anita Pallenberg, à ses côtés, qui apparait alors dans divers films symptomatiques de l'époque ("Candy", "Wonderwall", "Barbarella") est une égérie pure des années 60, compagne de Brian Jones puis de Keith Richards, côtoyant toutes les zones d'influences artistiques qui comptent dans ces nouvelles années folles, Londres, Paris, Rome...
A ce titre, la scène de Mick Jagger reprenant seul à la guitare "Come on into my kitchen" de Robert Johnson est en soit une réelle merveille, dont on peut se souvenir plus de vingt après l'avoir vu (si si, c'est mon cas).
La scène chantée par le même Jagger version mafieux anglais est elle aussi assez édifiante.
C'est dire si le film est un reflet précis des sujets qu'il expose.
Drogues, amour libre, psychédélisme, art, tout ce que l'esprit contestataire de l'époque est montré à l'écran, sans angélisme ou émerveillement factice, mais au contraire présenté sous un jour presque simple.
L'abandon intérieur de Chas, la petite frappe mafieuse, aux bras des beatniks qui l'accueillent, est à la fois désenchanté, sombre et ne peut se finir que dans le sang. Les effets de la drogue sont plutôt tristes, ils couvrent les consciences sous une couverture qui étouffe à l'image des rideaux constamment fermés de l'appartement de Turner / Jagger.
Une sorte de version britannique d'Easy Rider sur le versant sombre du rêve des sixties qui s'envole.