Persona est froid. Persona est brûlant. Persona parle. Persona se tait. Persona est austère. Persona est sensuel. Persona accélère parfois. Puis ralentit. Et repart de plus belle. Persona est beau.
Oui Persona est tout cela. Et même plus que ça. Il fait partie de ces films que l'on ne peut oublier facilement. Lorsque les lumières s'éteignent dans la salle et que le projectionniste lance le film on le sait : ce qui est à l'écran est aussi en train de s'imprimer dans nos rétines et encéphales. On le sait, on gardera longtemps des images dans nos petits cerveaux et dans nos coeurs, heurtés par une telle claque.
Persona part d'une idée simple : une actrice ne parle plus. Ou ne souhaite plus parler. Une infirmière parlant parfois pour deux reste à ses côtés. L'infirmière et sa patiente vont à la mer, dans une maison assez calme et isolée.
A partir de ce dispositif, Bergman laisse se déployer un dialogue impossible entre cette femme enfermée dans son mutisme et cette infirmière au débit toujours plus important. Ad nauseam.
Car dans un premier temps, Alma l'infirmière parle, parle, parle jusqu'aux confidences les plus intimes, sous le regard profondément bienveillant d'Elisabeth l'actrice. L'une parle, l'autre pas. Mais ce n'est peut-être pas si grave ? Si...
Cet équilibre fragile entre les deux belles femmes se brise alors lorsque Alma découvre une lettre d'Elisabeth.
De la lettre naît le trouble. Il brouille une relation toujours plus violente entre les deux femmes.
Tout devient opaque, toxique. Nos cerveaux de spectateurs sont malmenés, parasités par l'aspect psychanalytique du film que relaient les images. Est-ce un simple antagonisme, une histoire amour-haine entre deux femmes opposées mais complémentaires ? Non. Tout n'est pas si simple. Et si on le sent, on ne pourra jamais complètement saisir ce qui lie ces deux femmes. Au-delà toutes les explications et théories élaborées autour du film, il restera toujours un peu de mystère.
Ce voyage statique est capturé dans une mise en scène parfaite. Sur cette route sinueuse, Bergman capte les visages et les regards comme seul lui peut le faire, souligne le trouble, effraie. Ponctue le trajet de stations expérimentales. Il nous invite alors à nous interroger sur ce que nous voyons, à essayer de percer le mystère derrière l'écran.
Mais dans ce film blanc (d'ailleurs quelle photographie !, il faudrait y consacrer des pages entières), l'image semble se consumer. Il est déjà trop tard. Nous n'avons touché que du bout du doigt ce voile de mystère couché sur pellicule et désormais consumé.