Phantom of the Paradise c’était d’abord pour moi ce visage masqué, iconographique, longtemps distillé dans les parutions du magazine le plus fou de France. Je n’ai jamais su de quoi il était question ; créature d’horreur, tueur revenu des enfers, motard SM ? Mais scheiße ! —qu’est ce que ça donnait envie cette expression d’effroi pétrifié, cette perversion morphologique, ce maquillage blasphématoire !
Je vais pas encore vous balancer les comparaisons évidentes comme le nez de Dorothée au milieu de la figure. On a tous vu, lu, compris à quels mythes littéraires De Palma faisait écho.
J’ai même pas envie d’intellectualiser, une heure trente c’est trop court pour ça, surtout quand tu t’en prends plein les oreilles et plein les yeux ; à un tel point que tu sens tes orifices sécréter le rimel de tes fantasmes dégoulinants de musicien frustré, depuis longtemps bouillonnant.
La musique d’ailleurs. Putain la musique, surtout. Paul Williams, vil nabot génial, ayant bossé avec dieu (Bowie le père) avant de faire le Malin chez Brian, nous compose une bande à part : résolument baroque, à la sensibilité fine, puissante et colorée, mais surtout texturée, organique, hors du temps.
Entre parenthèse quelle ne fut pas ma surprise de découvrir qu’un de mes morceaux préférés de Faith and the Muse, Old Souls — sur l’album Evidence of Heaven, était une reprise tirée de l’OST du film. Comme quoi, y a pas de hasard.
La musique et les images. Putain les images, en plus. Finley vêtu comme une rock star de chez Barker, masqué, défiguré, transfiguré, entouré d’électronique, chantant Faust d’une voix infernale, comme le son d’une âme implorant, s’accrochant à ses derniers soupçons d’humanité ; et tout de suite cette fascination hypnotique pour ce tableau plastique et sonore quasi visionnaire. Ces plans serrés sur les moues de Jessica Harper dont la voix profonde semble nous embrasser pour mieux nous emporter au fond de l’eau ; malgré mes yeux écarquillés, j’étais somnambule en l’écoutant. Non j’étais funambule, prêt à tomber. L’immense Gerrit Graham tout en superlatif, et d’ailleurs, super, les tifs ! Summum du baroque, de l’extravagance et du mauvais goût fabuleux, bouffé d’oxygène dans cette histoire d’amour claustrophobe.
Au delà des mythes et des références, le modeste musicien qui écrit ces lignes n’a pu s’empêcher d’être interpellé par la symbolique du double artistique, de l’avatar scénique ; l’Autre, celui qui écrit, compose et chante. Celui par qui la véritable personne s’exprime, celui qui oublie les conventions sociales, les codes et les interactions. Celui qui ne pense pas comment vivre mais qui vit véritablement le moment dans toute son exhaustivité sensorielle et émotionnelle, presque métaphysique. L’ Autre, cet être aussi fragile et écorché que son pouvoir est incroyable, presque magique. Une illustration qui m’est apparue comme une épiphanie dans cette fameuse scène où le Phantom cherche sa voix.
Bowie avait Ziggy. Moi je cherche encore ma poussière d’étoile pour en foutre plein les yeux.
C’est beau quand un film vous parle comme ça, transcendant son sujet.
Quel film ! Non, quel album ! Brian mérite deux palmes ! Quel final ! Mama mia ! Let me go !