J'ai un poil de sourcil blanc. Déconne pas, c'est sérieux. J'ai peur. Dans peu de temps, j'aurai sûrement un sourcil tout blanc. Un tout blanc et un autre tout noir. Oui je t'ai pas dit, j'ai deux sourcils en fait. Les gens vont commencer à me regarder comme une bête de foire, à me plaindre, en prenant une expression de tristesse normale comme quand on fronce ses deux sourcils (de même couleur). J'en viens presque à regretter de ne pas souffrir de synophridie. Au moins la blancheur se propagerait uniformément sur mon seul sourcil. Je crois.

A partir de là, je ne vois que deux solutions. La première, me raser intégralement le sourcil infecté de blanc. Mais je pense qu'avoir un mono-sourcil unilatéral ne fera qu'accentuer la compassion ou le dégoût des gens. L'autre solution, c'est de me trouver un masque comme celui de Winslow Leach. Il est classe ce masque, quand même. J'ai remarqué que les piafs sans sourcils on les faisait jamais chier avec ça. Enfin bon, arrêtons d'envisager le pire. Merci pour ton soutien, toi qui me lis encore sans sourciller.

"Phantom of the Paradise", c'est l'histoire d'un type, Winslow Leach, musicien très talentueux et moche à la recherche de la consécration, qui va jouer devant Swan, grand ponte de la musique depuis plusieurs décennies. Suite à sa rencontre avec Phoenix, il souhaitera que cette dernière soit l'interprète de son opéra (ba)rock. Swan va tomber sous le charme des compositions du jeune homme, et en profiter pour les lui piquer afin de faire l'ouverture de son Paradise, sa salle de concert ultime. Laissé pour mort après moult péripéties, Leach revient se venger et hanter les lieux. Voilà les grandes lignes de ce drame extravagant inspiré du "Fantôme de l'opéra", de "Frankenstein" ou encore du "Portrait de Dorian Gray". Difficile d'en dire plus sans gâcher la surprise, le plus dur étant de parvenir à distinguer le vrai du Faust.

Swan, c'est le mec qui ressemble à Jack Bauer avec une perruque de face et à Dave de dos. Paul Williams interprète ce demi-Dieu de la musique. Il signe également la bande originale du film (De Palma était sur la route...), mais j'y reviendrai, si mon sourcil blanc en devenir ne me fait pas trop déprimer d'ici là.
Winslow Leach est campé par le regretté William Finley. Il apporte la touche touchante à ce personnage touche-à-tout touché par la malchance qui plutôt que de botter en touche, touchera le spectateur de tout son être. Touché-coulé !
Et puis il y a Phoenix. Jessica Harper toute choupinette, aussi à l'aise en jouant la comédie qu'en chantant, le charme intemporel et discret en même temps. Sans oublier Gerrit Graham ainsi que George Memmoli, qui ne déméritent pas.

Seventies obligent, le visuel est kitsch. Where is Brian ? Eh bien Brian was in the kitchen, et on est bien content d'avoir eu un tel chef à l'oeuvre vu le festin qu'il nous a préparé. L'audace de De Palma est telle que malgré une légère appréhension sur le côté potentiellement "too much" de la chose, je me suis tout de même mangé une belle baffe. Au point de voir le film deux fois en une semaine, après avoir pris soin d'acheter le Blu Ray pour la redécouverte. "Phantom of the Paradise" revêt d'ailleurs une tout autre dimension sur ce support, l'optimisation se montrant très réussie sur les plans visuel et sonore.

Vue subjective, splitscreen, poursuite caméra au poing, idées en pagaille comme le vocodeur qui inspira Lucas pour Dark Vador, le géniteur de "Scarface" et "Carrie au bal du diable" nous sort le grand jeu pour masquer le budget très serré de son oeuvre (à peine plus d'un million de dollars selon estimation !). Le film a beau être criblé de défauts (ombres de caméraman par ci, effets cheap par là...), le charme opère, grâce notamment à cette bande originale prodigieusement intégrée. La puissance de certaines scènes s'en voit décuplée, et "Phantom of the Paradise" propose d'ailleurs l'une des plus belles séquences qu'il m'ait été donné de voir dans une oeuvre cinématographique, j'en ai encore la chair de poule.

Une tragédie barrée et baroque qui donne la pêche et fait pleurer une heure trente durant, c'est rare. La performance est telle que Brian De Palma me pousse à mettre la note parfaite à une oeuvre pourtant si imparfaite. J'espère qu'il saura en tenir compte le jour où il m'interpellera d'un simple "Hi, Bro' !"
Gothic

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