Seul et unique long métrage de Saul Bass, graphiste américain surtout connu pour ses affiches et génériques de films (allant d'Hitchcock à Preminger en passant par Scorsese, Frankenheimer et bien d'autres encore), Phase IV est une œuvre purement hypnotisante!
Synopsis : Ernest Hubbs, un biologiste anglais, observe un dérèglement du comportement des fourmis dans une vallée de l’Arizona. Des espèces autrefois en conflit se mettent à communiquer entre elles, tandis que leurs prédateurs habituels disparaissent de façon inquiétante. Le professeur recrute le scientifique J.R. Lesko, spécialiste du langage pour étudier ce curieux phénomène. Ce qu’ils vont bientôt observer sur place dépasse l’entendement.
Ce film, semblant dans un premier temps mélanger science-fiction et documentaire animalier (images macro et voix-off), est structuré en différentes phases. La quatrième, celle donnant son nom au film, ne fera son apparition qu'au début du générique de fin, une idée simple mais ingénieuse qui incitera le spectateur à échafauder sa propre théorie sur le contenu de cette fameuse phase IV. On peut certes supposer que ce nouveau segment correspondra à la domination du monde par les fourmis, ou tout du moins à la fin de la domestication de la nature par l'homme, mais les subtilités dépendront de l'imagination de chacun.
Concernant la réalisation, la première chose à noter concerne les images incroyables de fourmis captées par Ken Middleham qui sont toutes plus belles et impressionnantes les unes que les autres !!
L'angoisse ne provient pas comme souvent dans les films de ce genre du gigantisme de l'insecte (d'une araignée dans Tarantula, d'une mante religieuse dans La Chose Surgit Des Ténèbres ou justement de fourmis dans Des Monstres Attaquent La Ville) mais plutôt de l'angle nouveau avec lequel nous allons observer un insecte minuscule et bien réel.
En dehors de cela, le métrage va beaucoup insister sur les styles de vie qui opposent fourmis et humains, les fourmis vivant tel un groupe unique et fusionnel tandis que les humains pensent d'abord à eux-mêmes en tant qu'entité individuelle. C'est d'ailleurs le fait que les différentes espèces de fourmis s'unissent malgré leurs différences qui va leur permettre de prendre le dessus sur les humains qui n'arrivent pas à harmoniser leurs intentions. En effet, rien que le décalage entre la vision des deux scientifiques permet d'illustrer cela, Hubbs voulant combattre les fourmis là où Lesko cherche à communiquer avec ces dernières. Mais ce n'est pas tout puisque les grands-parents habitant la maison voisine refuseront d'écouter les conseils des scientifiques (à savoir prendre leur distance avec le lieu de l'action), que leur petite-fille Kendra agira selon sa seule initiative en fin de film en allant se livrer aux fourmis, et que les bureaucrates, qui ne sont même pas physiquement présent à l'écran, auront eux aussi une vision différente souhaitant mettre fin à cette expérience pour cause de dépassement budgétaire... Il n'y a pas à dire, l'unité humaine est quelque peu fragile.
Dans cette optique, deux scènes mettant en scène les fourmis sont particulièrement importantes :
- Celle de l'insecticide jaune → alors que les fourmis ont dans un premier temps tenté de communiquer avec les humains en constituant une forme géométrique dans un champ tel un crop circle, la réponse de ces derniers fut d'utiliser la violence (pensant ainsi démontrer leur supériorité) afin de détruire des tours symboliques construites par les insectes (l'ensemble des plans mettant en scène ces pylônes étant d'une beauté saisissante en plus de vouloir dire beaucoup de choses). Les fourmis réagissent alors elles aussi par l'offensive mais seront stoppées par Hubbs qui va projeter sur elles un insecticide jaune, tuant nombre de ces dernières et, par mégarde, les grands parents venus se réfugier à la station. Cette scène, qui n'est pas sans rappeler les populations brûlées par le napalm lors de la guerre du Viet Nam, est esthétiquement grandiose mais vu surtout permettre de montrer la dévotion des fourmis envers leur peuple. En effet, plusieurs fourmis vont trainer un échantillon de ce poison jaune sur quelques mètres, se sacrifiant les unes après les autres, pour finalement le déposer au pied de leur Reine... Des sacrifices qui n'auront par d'ailleurs pas été vain, la Reine mangeant l'échantillon et pondant dès lors des œufs jaunes d'où naissent une nouvelle génération de fourmis résistantes à cet insecticide.
- Celle du rituel funéraire → alors que les fourmis bâtissent plusieurs structures réfléchissant la lumière du soleil tout autour du laboratoire afin de faire monter la température au sein de cette dernière, les humains comprennent qu'ils se sont en fait fait prendre à leur propre jeu et que ce sont finalement eux qui sont au centre d'une expérience, qui sont les cobayes de nos chères bébêtes à six pattes. Dès lors, ils vont chercher un moyen de détruire ces structures et y parviendront en émettant un son particulier. Ce n'est qu'une victoire de courte durée pour les hommes mais les pertes chez les fourmis seront grandes. Arrive alors la scène du cimetière qui fait froid dans le dos tout en étant l'une des scènes les plus touchantes que j'ai jamais vu. Les fourmis vont rassembler les différents cadavres de leurs congénères, les aligner et leur offrir une cérémonie funéraire digne de ce nom! Chaque plan de cette scène est magistral et clairement l'émotion se place donc plus du côté des fourmis que des humains, ces derniers n'ayant rien organisé de tel pour les morts de leur espèce, voire n'ayant même pas eu de pensées particulières pour eux dans le cas de Hubbs.
Parmi les autres scènes marquantes avec les fourmis, on peut noter : celle où une araignée sa fait dévorer en timelapse, celle où une fourmi déambule sur le corps de Kendra avant de se retrouver en face-à-face avec elle (les divers plans du film où les fourmis sont mises sur le même plan que les humains sont d'ailleurs sublimes et plein de sens), celle opposant une fourmi à une mante religieuse à l'intérieur d'un matériel informatique, ou encore celle où Hubbs détruit une partie du laboratoire en essayant d'écraser une éclaireuse (le montage entre les différents plans d'échelle étant excellent et les plans avec les doigts fouillant dans les débris électroniques ayant un rendu des plus efficaces).
Enfin, les combinaisons que portent les scientifiques lors de leurs sorties du labo ressemblent un peu à des combinaisons d'astronautes qui explorerait une planète inconnue, ce qui, combiné au fait qu'ils soient isolés dans un environnement désertique, peut être perçu comme un premier indice selon lequel la Terre n'appartiendrait alors déjà plus à l'homme mais aux fourmis.
Bref, il serait possible de dire encore bien des choses sur ce film, que ce soit sur sa lecture écologique, sur la musique de Brian Gascoigne (atypique et participant grandement à l'atmosphère envoutante de l'œuvre), sur ses points communs avec d'autres longs métrages (2001, l'Odyssée De l'Espace forcément, mais aussi Les Oiseaux pour n'en citer que deux) ou sur ses quelques défauts mineurs (le maquillage de la main de Hubbs par exemple), mais restons-en là et concluons en disons que Phase IV est une œuvre majeure de la science-fiction qui s'avère, derrière un postulat de simple série B, être un film particulièrement malin, ludique et mémorable.