Phase IV par Cinemaniaque
Il y a des petits films, comme ça, qui n'ont l'air de rien et vous envoie en réalité une grosse mandale dans la tronche sans qu'on s'y attende. Phase IV mérite une place de choix dans le panthéon des bonnes et trop rares surprises de ce genre.
1974 : Saul Bass a 54 ans et une carrière de graphiste absolument démente, ayant collaboré avec Preminger, Hitchcock, Kubrick et beaucoup d'autres sur leurs affiches et, surtout, sur leurs génériques de films. Phase IV sera son seul film en tant que réalisateur, mais quel film !
Tout d'abord, on retrouve évidemment ici la fascination et le génie de Bass pour le découpage de l'espace et l'utilisation de formes géométriques simples mais efficaces. Ne serait-ce que d'un point de vue visuel, sur l'opposition des formes et leurs associations, on pourrait tirer un solide travail d'analyse tant Bass pense et soigne chaque détail, chaque cadrage, chaque élément de décor. Telle une fourmi, et pour paraphraser les propos d'un personnage, les formes "seules ne sont guère efficace ; unies, elles sont puissantes et imposantes".
Mais Bass ne se contente pas d'aligner ses compétences en matière de composition d'image : il s'installe surtout comme un véritable metteur en scène, capable de tirer d'un scénario de série B un petit chef-d'oeuvre de SF. Avec un travail dément sur la grosseur des plans, Bass amène la fourmi à l'échelle humaine, et offre une toute autre vision de cette civilisation d'insectes. Parce qu'ils nous rend visible ce que l'ont ne regarde pas, et parce qu'il souligne notre infériorité à des êtres que l'on croit dominer sans problème, Bass transcende le film d'horreur pour devenir objet de réflexion philosophique. Il y a quelque chose de Painlevé dans l'art de Bass de rendre ces animaux finalement très humain, et de les diriger presque comme des acteurs par un savant jeu de montage.
Ajouter à cela une ambiance très réussie, la musique très seventies au synthé participant au rendu de l'époque, et Phase IV s'impose alors non seulement comme une réussite presque totale mais surtout comme un chef-d'oeuvre méconnu, puissant et élégant, intelligent et traumatisant. Personnellement, je n'arrête pas de me gratter depuis le film rien qu'en y repensant...