Saul Bass était un graphiste respecté pour ses contributions au cinéma. Il a participé à une cinquantaine de films pour des affiches et génériques, des années 1950 (Sept ans de réflexion de Wilder, Sueurs froides d'Hitchcock) à sa mort (collaboration avec Scorsese les dernières années, achevée sur Casino). Saul Bass s'est aussi essayé à la réalisation avec succès : ses courts-métrages sont récompensés dans les festivals, Why man creates (1968) remporte même un Oscar. Il y eut aussi un long-métrage, l'unique en raison de son échec commercial : Phase IV. La réception critique est plus enthousiaste : Prix spécial du jury à Avoriaz en 1975, comparaisons à Solaris et 2001.
Sorti en 1974, Phase IV s'inscrit dans la lignée de la SF pessimiste de son époque (sans se livrer à ses codes), rejoignant également la catégorie « animaux tueurs » liée au fantastique et à l'horreur (comme en atteste la vague des Universal Monsters, ou des produits tels que Them ! en 1954). Le film présente des fourmis noires s'attaquant aux humains mais garde ses distances, à l'instar des scientifiques à l'étude. Le principal se déroule autour de ces deux chercheurs et professeurs, depuis leur QG en Arizona, parfois sur le terrain. Les phénomènes ne les atteignent pas directement et le spectateur se retrouve face à des des incursions 'parallèles', voire des diapositives contemplatives avec généralement un prétexte explicatif.
Phase IV envoie une poignée de bonnes idées, qui sont pour la plupart sublimées dans la mise en scène, ne donnant matière qu'à des ouvertures et non des réflexions élaborées. L'inventivité visuelle de Saul Bass vaut les facéties de Soleil vert (classique de SF, dans un registre très différent) ou de Rollerball. Malheureusement le scénario est faible ou plutôt 'fugace' : il ne s'autorise à prendre ni poids ni volume, raconte et ajoute à peine aux illustrations, les accompagne pour les alourdir en somme. La 'main invisible' de la réalisation semble s'arrêter devant les protagonistes, intimidée par eux et leurs pérégrinations spéculatives, leurs laborieuses et savantes analyses. La tension est donc au plus bas, mais une certaine magie, une passion froide enrobe le défilé d'images.
Phase IV n'est pas un film d'exploitation mais il souffre tout de même de quelques aspects sinon nanars, du moins un peu candides (la fille démolissant la cage des fourmis car elles ont bouffé son cheval). En même temps, il n'a pas le côté brinquebalant, explosif et collectif de mi-nanars mi-délires visionnaires type Zardoz. Phase IV se taille sa propre identité dans un no man's land, tutoyant certains territoires plus clairs, en étant un inaccompli assuré s'il s'y raccroche trop. Comme divertissement il est inopérant, comme petit précis philosophique il est creux, comme prophétie filmée il est finalement assez pudique et fantaisiste à la fois. Il rejoint La forteresse noire et d'autres plus ou moins culte ou maudits, au rang des petits films majestueux et bizarre aux airs de chefs-d'oeuvre mal ficelé.
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