Après une première entrée dans l’oeuvre de Bresson dans Un condamné à mort s’est échappé, j’ai choisi d’enchaîner avec son film suivant, Pickpocket. Malgré des contextes et intrigues tout à fait différentes, il est intéressant, ici, d’observer une certaine continuité dans le discours du film précédent et de commencer à dégager des thématiques importantes de la filmographie de Robert Bresson.
Après la lutte pour la survie et la quête de liberté par l’intelligence, l’ingéniosité et la spiritualité, c’est donc dans le récit de petits larcins que Bresson va questionner des problématiques plus ou moins proches du film qui l’a révélé au grand public. Le héros est le mouton noir dans une société ici présentée comme pesante, informe, et dont le fonctionnement est avant tout basé sur l’argent. En effet, il est toujours entouré de personnes plus ou moins fortunées, qu’il croise dans des restaurants, des hippodromes, des gares ou des métros, des lieux qui nécessitent souvent des transactions financières.
Michel ne travaille pas, il est désœuvré, il réprouve ce système en évitant le contact, en se refermant sur lui-même et en le contestant. Désabusé, marginalisé, incapable de réellement vivre en société, il est dans une fuite constante. Michel expose lui-même ses intentions en suggérant que des individus de valeur se retrouvent rejetés à cause de ce système. Pourtant, paradoxalement, il est rattrapé par la nécessité de gagner le d’argent pour subsister, et est confronté aux limites de ses convictions, en devant lui-même voler. Ce vol est un moyen comme un autre de survivre, mais c’est aussi, d’une certaine façon, une manière de participer à un équilibrage des richesses, en dépouillant des individus fortunés en faveur d’individus plus pauvres. Un mécanisme qui permet d’induire une volonté d’exposer une vision de la société occidentale moderne.
Comme Un condamné à mort s’est échappé, Pickpocket est mis en scène de la manière la plus authentique possible, avec le même principe de voix off pour inviter à l’introspection, et avec le même souci apporté au détail, notamment dans le déroulement des vols. Le principe est le même que dans le précédent film de Bresson : limiter les distractions pour concentrer le spectateur sur l’intrigue et des mécanismes identifiables et comparables à des schémas sociaux plus larges. En effet, la situation du personnage principal, libre dans sa pensée, et marginalisé pour cela, permet d’alimenter des discours sur la société occidentale où l’argent est roi, où il est la clé de tout, et où il participe à une uniformisation de l’humanité, au détriment de l’expression de ses sentiments les plus profonds et les plus humains. C’est, d’ailleurs, en étant exclu lui-même de la société, que Michel s’en rendra compte.
Pickpocket est dans la juste continuité du précédent film de Bresson, qu’il s’agisse de la forme autant que du fond. On y retrouve cet attachement à la pureté de l’oeuvre, à l’image et à l’écriture au service du discours, plus que de l’intrigue elle-même. La situation et la façon de penser du personnage principal nous sont facilement familières, ce qui permet au film de s’affranchir des barrières du temps et d’être éloquent sur de nombreux aspects. Une nouvelle très bonne découverte.