Pieds nus sur les limaces de Fabienne Berthaud raconte le quotidien de deux sœurs, Clara (Diane Kruger) et Lily (Ludivine Sagnier) après la mort de leur mère. La vie après ce drame sera remplie d'obstacles et de remises en question, car Lily est différente, hypersensible et beaucoup plus fragile que les autres filles de son âge. Les deux femmes auront bien du mal à communiquer et à vivre leur deuil de la même manière, l'une en refusant d'être à nouveau épanouie, l'autre en montrant à la face du monde toute sa joie de vivre pour mieux cacher sa tristesse...
Ce film affiche très vite la couleur : il se veut humaniste et impose dans chacun de ses plans une philanthropie exacerbée qui pompe chaque centimètre carré du scénario. Si certains des personnages sont très réfractaires à l'idée de gérer les exubérances de Lily, c'est pour mieux resserrer les liens entre les deux sœurs. Elles ont besoin l'une de l'autre et la beauté du film réside dans l'antagonisme qui les rapproche à chaque nouvelle épreuve de leur quotidien. La mort de la mère a créé une scission qui les oblige à survivre ensemble, notamment pour Lily, incapable de se gérer toute seule. Si la première partie du film est à sens unique, la seconde s'attache à montrer que Clara a aussi besoin de sa sœur pour vaincre ses propres démons. Munie d'une caméra à l'épaule et d'une caméra fixe seulement, la réalisatrice a privilégié l'authenticité à n'importe quel autre outil ; le sentiment est inéluctable quand on observe le film, c'est d'une sincérité très proche de ce que l'on pourrait imaginer en vrai. Les musiques sont percutantes mais peu accaparantes, elles accompagnent plus qu'elles n'amplifient, la nature les protège comme les bras d'une mère. Une bulle protectrice.
Si Pieds nus sur les limaces est une vraie source d'inspiration et d'intérêt, c'est parce qu'il développe des personnages sans cesse au bord de la rupture et de l'implosion. L'argument du cliché est recevable car chaque protagoniste a un rôle précis dans cette histoire, mais les clichés sont indispensables au côté fusionnel du duo principal. Les jugements des autres font leur force, leurs extrêmes différences leur essence. Ce récit m'a rappelé Mommy de Xavier Dolan par l'amour destructeur qu'il véhicule et toujours parce qu'on y retrouve un conflit permanent lié à deux personnalités radicalement opposées. Proposer des personnages si contradictoires semble une évidence pour mettre en relief, dans l'opposition, l'amour qu'ils s'apportent mutuellement. Reste une complicité hors du commun entre deux sœurs qui se protègent du monde en essayant toujours de ne pas s'en ostraciser.
La prestation de Ludivine Sagnier est incroyable. A 30 ans lors de la sortie du film, elle propose un rôle de composition exceptionnel. On acclame souvent les acteurs quand ils jouent des personnages avec de forts handicaps, mais quand il s'agit de retards légers, de petites différences psychologiques qui se nichent dans les détails et les regards, c'est beaucoup plus impressionnant et éprouvant. Cette actrice a la capacité de tout jouer, de tout absorber, comme une éponge, comme un caméléon. C'est une perle dans notre cinéma français et il faut y faire attention et ne jamais avoir la facilité de la sous-estimer. Le bilan pour Diane Kruger est beaucoup plus mitigé. C'est sa deuxième participation avec Fabienne Berthaud et bien qu'elle soit évidemment très à l'aise avec le français, son jeu paraît souvent fade, sa personnalité écrasée, enfermée dans un mutisme qui transpire jusqu'aux expressions de son visage. Elle est complètement dans son rôle et tempère les ardeurs de la sœur de son personnage mais on se demande parfois si ce n'est pas un manque de rigueur dans son jeu. Entre la retenue et la paresse, la frontière est mince. Le reste du casting est à oublier, Denis Ménochet en tête, et c'est peu important tant l'histoire se concentre sur les deux actrices principales.
Pour conclure, Pieds nus sur les limaces est une façon originale de présenter l'après-deuil et la reconstruction par l'amour et le soutien, peu importe d'où il vienne finalement et comment il nous parvient. Si le film n'est pas exempt de défauts, comme le fait par exemple de rester très consensuel et classique dans la vie des deux jeunes femmes et leurs actes - certains appelleront ça de la sobriété, ou l'arrivée des vagabonds, inutiles si ce n'est en faire le symbole de la réunification des sœurs, c'est une petite claque qui fait réfléchir et dont on ne ressort pas moins bête, au contraire, peut-être un peu plus libéré.