Ceci n'est pas un film
Je préviens ça va pas être clair (du tout)... Mais en même temps... Et après on va me dire que je regarde des trucs bizarres qui ne sont pas des films... Mais que cherche Godard ici même ...
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le 17 juil. 2011
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Elle aime les fleurs, les animaux, le bleu du ciel, le bruit de la musique... Enfin tout. Il aime l'ambition l'espoir, le mouvement des choses, les accidents... Enfin tout. Il n'y a que le cinéma pour que l'un puisse coexister avec l'autre ou, davantage, pour que l'un puisse briller par l'autre, pour que le particulier puisse déployer sa dimension universelle. Il n'y a pas de doute dans l'esprit de Godard, c'est bien l'idée qui donne sa consistance au sentiment, et c'est au cinéma, par le langage de l'image, de donner à voir cette essence du sentiment, sa couleur la plus pure ; son eidos en somme, Platon peut se retourner dans sa tombe, c'est bien l'imitation de l'imitation redoublée par la caméra qui nous fait sortir de la caverne des ombres.
Godard fait comme Velázquez, dont il propose une large description de l'univers pictural en ouverture du film (Pierrot citant un extrait de l'Histoire de l'art d'Elie Faure), il ne veut pas peindre les choses, il erre autour ou plutôt il cherche à saisir ce qui tend à s'échapper, cet indicible, ce presque-rien. Sans ce pouvoir extraordinaire que procure le cinéma, une main sur un genou reste une main sur un genou, c'est moins l'acteur que le spectateur qui y verra cette splendeur, qui saisira cette essence de la beauté, « l'en-soi de la main sur le genou » dit Pierrot. L'agencement cinématographique est là pour montrer « ces échanges mystérieux qui font pénétrer les uns dans les autres les formes et les tons par un progrès secret continu dont aucun heurt, aucun sursaut ne dénonce ou n'interrompt la marche. L'espace règne, c'est comme une onde aérienne qui glisse sur les surfaces, imprègne de leur émanation visible pour les définir et les modeler » (toujours extrait de l'ouverture du film, Pierrot citant Histoire de l'art).
L'art est là pour donner de la couleur à un réel moribond, où « la civilisation du cul » a succédé à Athènes et à la Renaissance. Il faut reconnaître à Godard le mérite de brouiller les frontières entre lecture à voix haute des textes littéraires (in) et voix off qui dédouble la narration jusqu'à faire disparaître la séparation claire entre les deux. Ce flou apparent se trouve étendu à celui de la séparation entre réel et fiction (ou entre réel et réalité comme disent ces gens qui nous couchent sur un divan). Quelle importance dès lors que la mort est secondaire ? Elle apparaît dans le film moins comme la cruelle vengeance du premier sur le second que comme le couronnement d'une véritable présence au monde, qui ne saurait se trouver dans la vie sociale, « il était temps de quitter ce monde dégueulasse et pourri ».
Le succès de l’entreprise poétique - beauté du langage - de Godard est remarquable lorsque mouvement de l'écriture, de la lecture et des corps ne font plus qu'un. Dès lors, l'idée se fait corps, légère, dansante et ailée. Pierrot lit Guignol's band de Céline, dansant et gratifiant Marianne de douces caresses alors qu'il passe d'une branche l'autre. La synesthésie opère, toucher des amoureux se combinant à la vue de leur jeu de scène sublimé par le texte célinien. L'émotion se fait chair et la musique langue des émotions, Ma ligne de chance, un morceau de délicatesse particulièrement doux. L'idée ne la laissera pas s'échapper.
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le 20 août 2017
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