"Osez l'usurier, soyez ma muse"
Lee Kang-do est chargé de récupérer l'argent qu'un usurier véreux a prêté à de pauvres travailleurs à des taux exorbitants. Et comme ils ne peuvent pas rembourser, Kang-do les mutile sévèrement ; une fois handicapés, ils touchent alors la prime d'assurance qui leur permet de rembourser l'usurier (mais restent à tout jamais manchots ou cul-de-jatte et ne peuvent plus exercer leur métier).
Un jour, Kang-do voit arriver dans sa vie une femme qui va le suivre dans ses pérégrinations. Elle prétend être sa mère, qui l'avait abandonné à sa naissance, et se dit responsable de l'état moral catastrophique de son fils.
Quand je me suis lancé dans ce film, c'était avec un mélange de sentiments contradictoires. D'un côté, comme beaucoup, je considère le cinéma coréen comme un des plus fascinants actuellement, et Kim Ki-duk a fortement contribué à me le faire apprécier. De plus, j'ai beaucoup aimé l'affiche. D'un autre côté, j'avais fortement peur d'un film gratuitement violent.
Je me méfie énormément des cinéastes qui prétendent choquer leur public. J'y vois, bien souvent, une volonté publicitaire, le choc comme argument commercial. "le film qui a scandalisé Cannes (ou Venise, ou Berlin, ou l'Amérique...)", voit-on bien souvent sur des affiches ou des jaquettes. Pour attirer le chaland. Voir Lars Von Trier, qui s'acharne à vouloir créer un scandale pour chacun de ses films, ou un Gaspard Noé techniquement bluffant mais qui se perd dans une absurde volonté de choquer à tout prix. (souvent, ces cinéastes se revendiquent de l'héritage d'un Pasolini de Salo ou d'un Oshima de l'Empire des sens, en oubliant que nous sommes 40 ans après Salo et que faire de nos jours la même chose que dans les années 70, ça ne montre pas une grande ambition)
Une scène de Pieta a justifié ma crainte. Kang-do qui fourre sa main entre les jambes de sa mère, et patati, et patata. Scène inutile dans l'action, que rien ne justifie, et qui est bien glauque et malsaine.
Fort heureusement, cette scène est la seule véritable erreur du film. Parce qu'à part ça, Kim Ki-duk réalise, une fois de plus, un très beau film, dense, humain, original aussi bien dans son sujet que dans son traitement.
J'en connais qui s'énerveraient sûrement de l'aspect "rédemption christique" du film. Mais, premièrement, à quoi s'attendre avec un film qui s'appelle Pieta et dont l'affiche reprend la célèbre statue de MichelAnge, elle-même inspirée des Evangiles ? Kang-do représente, dans la première moitié du film, l'exact opposé des valeurs chrétiennes : aucune compassion, aucune pitié, il répond par la violence et transforme des valides en handicapés. La rédemption arrivera forcément, on s'en doute dès le début, mais d'une façon que je n'attendais pas.
Le thème de la parentalité est aussi essentiel au film, avec la question : qui est responsable de ce que deviennent les enfants ? La mère n'arrête pas de répéter que c'est à cause d'elle si Kang-do est devenu comme cela ; à cela, une des victimes répond qu'il est "né diabolique". Le mal est-il inné ou bien s'acquiert-il ?
A l'inverse, toujours sur le thème de la parentalité, il y a aussi la question du sacrifice des parents pour leurs enfants. Ainsi, une des victimes de Kang-do accepte avec joie de perdre une main dans des conditions horribles, simplement parce que l'argent qu'il emprunte est pour son enfant.
En plus de cela, Pieta se double d'un portrait sombre de la Corée du Sud. Loin du dragon en plein boom économique, le film se voit aussi comme une plongée dans les bas quartiers d'une ville, à la rencontre d'ouvriers travaillant dans des ateliers minuscules, dans des conditions insupportables et pour un "salaire" qui frôle l'exploitation pure et simple, le tout dans des immeubles insalubres (quand ils sont achevés) et des rues dépourvues de la moindre notion d'hygiène. Le pire, c'est que la réussite économique d'un pays comme la Corée est due en très grande partie à tous ces travailleurs qui s'acharnent dans des conditions inhumaines et sans la moindre reconnaissance.
La photographie grise renforce bien l'aspect sordide de tout cela et le film trouve ici une belle unité : une histoire sordide, une description sordide du pays, tout s'accorde.
Et puis, il y a la fin. Les dernière minutes du film voient arriver, d'une façon complètement inattendue, de la poésie qui nait du glauque. C'est absolument invraisemblable, mais c'est magnifique (le Kim Ki-duk, il sait soigner la fin de ses films).
En bref, un bon film, pas drôle mais vraiment bien foutu, original, intense, brutal et poétique.