Un petit village rural d’Espagne, écrasé de soleil et par la chaleur. Une fille de bouchers, Sara, mal dans sa peau, qui n’a pas d’amis, qu’on persécute et qu’on traite de cochonne parce qu’elle est grosse, pas belle, renfrognée. Et puis un tueur qui rôde alentour, provoquant soudain la panique quand il kidnappe trois adolescentes, celles-là même qui aimaient à brutaliser Sara… Voilà, tout est prêt. Tout est en place pour un déchaînement à venir de colère et de violences. Carlota Pereda, en adaptant son court métrage de 2018 en format long (déjà avec Laura Galán, saisissante), a toute latitude pour développer davantage ce récit d’adolescente victime de grossophobie entremêlant analyse sociale et cinéma horrifique (le fantôme ensanglanté de Carrie n’est pas loin), et privilégiant surtout la psychologie de Sara, ses relations avec sa famille (sa mère en particulier, qui reproche et protège à la fois) et avec le tueur.
Dans son rapport troublé aux autres et à son corps, Sara paraît trouver, en la figure du tueur (dont l’aura, massive et bestiale, a tôt fait de la fasciner), comme une sorte de passeur vers l’âge adulte, d’incarnation revancharde de son mal-être (qu’on pourrait rapprocher par exemple du John Ryder d’Hitcher, du Tyler Durden de Fight club ou du psychopathe de Haute tension). Et si le tueur la débarrasse promptement de celles qui s’en prenaient à elle sans qu’elle ne leur vienne en aide, il titille chez Sara la fibre sentimentale. Suscite un besoin sexuel qui couvait, une part de désir dont l’adolescente, de par son physique et le rejet qu’elle suscite, semble ne pas avoir droit.
Pereda ausculte et déconstruit les différentes mécaniques de la violence (violence du harcèlement, contre soi-même, parentale, du monde en général…) qui, logiquement, ne peuvent mener qu’à de tragiques conséquences. Qu’à un repli sur soi où chaque frustration engendre une nouvelle frustration, qui finalement ouvre sur un abîme. On regrettera quand même que le potentiel du film ne soit pas complètement exploité, n’aille pas jusqu’au bout de ses intentions (on pense notamment à l’espèce de romance, étrange et presque primitive, entre Sara et le tueur). Et que le scénario finisse comme par se désintéresser de ses personnages, réduits alors à de la chair à slasher, et livre un dernier acte bordélique et décevant auquel on ne croit pas. Auquel on aurait préféré une vraie noirceur cathartique. Quelque chose de plus fou, de plus radical que ce pis-aller narratif se terminant en eau… de boudin.
Article sur SEUIL CRITIQUE(S)