En mars 2018, la réalisatrice espagnole Carolta Pereda sort Cerdita, un court métrage provocateur de 14min avec lequel elle fait le tour des festivals de courts métrages et qui lui permet de remporter quelques prix, jusqu’au Goya du Meilleur Court Métrage. Quatre ans plus tard, une « extension » sous forme de film de ce court métrage voit le jour, toujours avec la même actrice principale dans le rôle-titre, et est présenté en première mondiale au Festival de Sundance. John Roch vous en a un peu parle (en bien) sur son compte rendu du Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg, mais nous allons aujourd’hui s’attarder un peu plus longuement sur Cerdita, un premier film audacieux sur bien des points, qui passe de la comédie noire au thriller pour gentiment nous amener vers un final sauvage et sanglant, avec pour toile de fond le thème du harcèlement traité de façon originale.


Sara est une adolescente piégée dans un monde qui lui est hostile et ne trouve refuge que sous son casque, à écouter de la musique. Elle est complètement oppressée et effrayée par la réalité à cause, d’une part, de moqueries, d’humiliations et de cruauté de la part des autres jeunes de son âge qui l’appellent Cerdita (Cerdo veut dire Cochon, l’animal, en espagnol), la bousculent, la violentent. D’autre part, ses parents, certes aimants, ne se rendent pas compte du problème, et répondent à la honte et à la culpabilité par des silences, déjà bien préoccupés par la situation financière difficile de leur boucherie de village. Un jour, se croyant seule, alors qu’elle se baignait à la piscine, elle est prise à partie par trois jeunes filles qui manquent de la noyer. C’est alors qu’un illustre inconnu, ayant assisté à la triste scène, décide de kidnapper les trois filles, presque sous les yeux de Sara, avec la ferme intention de les faire souffrir à leur tour. Ce tueur, qui a établi un lien particulier avec Sara en agissant envers elle comme un ange gardien, semble être le seul à la comprendre et à l’accepter comme elle est. Cela va placer Sara dans une position délicate, partagée entre le voir comme un justicier ou un meurtrier, partagée entre le fait devenir le sauveur de ses bourreaux où laisser cet homme mystérieux faire vengeance à sa place. On souffre avec Sara, on est plongé avec elle dans ses peurs, ses inquiétudes, ses dilemmes. La superficialité, la cruauté, la souffrance physique et psychologique, le harcèlement, nombreux sont les thématiques abordées dans Cerdita, un film fait à la fois pour divertir et pour dénoncer. Consciemment choquant, parfois inconfortable pour le spectateur, il y règne un humour noir latent pour « amuser » (notez les guillemets) malgré tout.


Cerdita commence par des images en gros plan de viandes découpée au hachoir dans une boucherie, comme pour nous annoncer la suite. Le rythme est lent mais tendu, afin de nous montrer la vraie terreur, allant petit à petit vers une scène finale d’une intensité folle dans laquelle Sara embrasse sa rage intérieure et va s’émanciper, obtenant enfin la place qu’elle mérite. Bien que violent physiquement et graphiquement uniquement dans sa deuxième partie, c’est bien sur la violence psychologique que le film va s’attarder. La violence psychologique engendrée par les moqueries, les divers harcèlements, mais aussi celle causée par le dilemme moral et la pression qu’aura Sara sur ses épaules lorsqu’elle devra choisir entre garder, ou non, le silence. L’interprète de Sara, Laura Galàn, est absolument géniale dans ce rôle pourtant pas facile et est pour beaucoup dans la réussite du film. Son personnage est de toutes les scènes, à l’inverse du tueur, mystérieux dont on ne sait rien. Nous ne sommes pas ici dans un slasher, le méchant n’est jamais iconisé, il n’est d’ailleurs même pas effrayant. C’est un personnage comme les autres et cela apporte encore plus de réalisme à la chose. La mise en scène de Carlota Pereda est carrée, brute, avec une photographie très travaillée, avec un côté naturel et réaliste, quasi hypnotisant par moment lorsqu’elle joue avec les ombres et les lumières. Le choix du 4/3 pourrait sembler étrange à première vue, et pourtant il colle parfaitement aux thématiques du film. Ce format « gros » renvoie clairement au personnage principal du film, mais il rend encore plus oppressants certains moments du film, avec cette image qu’on n’a plus l’habitude de voir aussi resserrée, surtout lorsque les personnages sont filmés en gros plan dans ce petit village au centre de l’Espagne où la chaleur se fait étouffante l’été.


Abordant frontalement la grossophobie et le harcèlement, Cerdita est un drame horrifique et psychologique qui nous tient en haleine 1h39 durant. Un premier film maitrisé pour la réalisatrice espagnole Carlota Pereda.


Critique originale avec images et anecdotes : https://www.darksidereviews.com/film-cerdita-de-carlota-pereda-2022/

cherycok
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le 23 janv. 2023

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