La flamme et le pantin
La variation des formats et les innovations technologiques sont toujours un bon carburant du recyclage : la forme évolue, et l’on fait de ce toilettage dans l’air du temps un produit d’appel pour...
le 12 déc. 2022
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La variation des formats et les innovations technologiques sont toujours un bon carburant du recyclage : la forme évolue, et l’on fait de ce toilettage dans l’air du temps un produit d’appel pour ressortir au public des valeurs sûres du patrimoine. Le Pinocchio de Collodi, déjà animé par Disney en 1940, a ainsi subi un regain de popularité avec pas moins de trois nouvelles versions en trois ans : celle de Matteo Garrone et de Robert Zemeckis avant que ne sorte probablement la plus attendue, un projet porté de longue date par Guillermo del Toro. En coréalisation avec Mark Gustafson (déjà directeur d’animation sur Fantastic Mr Fox), il livre un film en stop-motion dans lequel les amateurs du visionnaire trouveront de nombreuses signes caractéristiques de son univers graphique. Un design singulier (le visage des fées bleues) le grotesque un peu effrayant de certains traits comme ceux du forain ou son singe, et un attrait pour les soubassements cauchemardesques de tout récit fondateur venant profondément infuser l’œuvre. La création de la marionnette n’a ainsi rien de féerique, et semble revisiter le mythe de Frankenstein dans une nuit d’hybris alcoolisée, tandis que la dimension magique du récit permet de susciter les réactions les plus viles du monde rationnel (intolérance religieuse, exploitation par le fasciste) ou visiter avec audace la question de la mortalité. Pinocchio arrive ainsi dans un monde brisé, et sur le point de basculer encore davantage : le père en deuil, la nation au bras tendu, tandis que le ciel se charge de bombardiers et que les flots sont constellés de bombes flottantes. Sa naïveté insolente a tout d’une anarchie existentielle, dont les premiers pas consistent, en chanson, à tout briser à coup de marteau, y compris les remparts de tristesse derrière lesquels s’était réfugié son créateur.
Toute l’exposition, et notamment ce beau prologue sur la perte du fils installe avec puissance un univers superbement éclairé, aux teintes dorées du conte italien, dans lequel l’animation fait des miracles. L’idée, bien entendu, de faire de tous ces personnages des marionnettes animées n’est pas innocente, et prend le relais de l’élan créatif de Geppetto : croire en la possibilité d’insuffler la vie à la matière inerte, par la patience d’un mouvement image par image. Le questionnement de Pinocchio vient donc revivifier un monde dans lequel on devra lui apprendre le deuil, la fraternité, la guerre et la mortalité.
C’est probablement dans son rapport au père adoptif et les conseils du cricket que le film trouve son cœur intime et son centre d’intérêt le plus vif : la matérialité des visages, la tenue des échanges et l’évolution des thématiques (celle, notamment, du fardeau) construisent un beau parcours initiatique. L’ampleur du projet lui adjoindra son lot de scènes spectaculaires (et un déplacement du conte originel dans l’Italie fasciste), pour quelques séquences un peu plus convenues, voire un brin longues, que ce soit le spectacle devant le Duce ou la délivrance et le combat avec le monstre marin. Mais l’essentiel n’est pas là : l’aventure réelle sera celle d’une quête de la vie mortelle, pour fonder une famille en forme de cirque réduit (un père, un enfant de bois, un cricket, un singe) qui, dans un épilogue convoquant la force émotionnelle d’une série majeure des années 2000 (dont on taira le nom pour ne pas spoiler), saisit l’essence même de l’existence humaine.
(7.5/10)
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le 12 déc. 2022
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