Pinocchio
7.1
Pinocchio

Long-métrage d'animation de Guillermo del Toro et Mark Gustafson (2022)

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How much wood would a woodchuck chuck if a woodchuck could chuck wood?

Del Toro n'en finit plus de me frustrer.


L'homme est talentueux. C'est un des derniers grands faiseurs d'images du cinéma populaire, et un metteur en scène indiscutablement doué. Mais le fait est que - peut-être à cause de la série de déconvenues qu'il a du endurer au début des années 2010, passant d'un projet inachevé à l'autre - il s'est réfugié depuis des années maintenant dans une espèce de conservatisme esthétique. S'il on voulait être mauvaise langue, on dirait qu'il est entré dans la phase Tim Burton de sa carrière. Fort heureusement, il possède quelque chose qui ressemble à des convictions et à un sens politique, ce qui l'a préservé des écueils ayant largement brisé la carrière de ce dernier. Ce qui n'enlève rien au fait que, depuis la trinité L'Echine du Diable / Le Labyrinthe de Pan / Hellboy 2, il n'a rien réalisé de particulièrement intéressant. Un film très charmant mais qui ne réinvente pas la roue ("La Forme de l'Eau"), des expérimentations esthétiques assez creuses ("Crimson Peak", "Pacific Rim") et un ratage complet ("Nightmare Alley"). Le fait que son "Pinocchio" soit, par certains aspects, son film le plus réussi depuis des années, ne fait que souligner davantage ses faiblesses.


Le concept, après tout, est fantastique - Pinocchio dans l'Italie fasciste, où il devient un spectacle/une arme pour les troupes de Mussolini. Et quand Del Toro s'attaque proprement à son sujet, il touche vraiment quelque chose du doigt. La réinterprétation du carnaval comme un microcosme du fascisme (thème qui flottait déjà, pas très clairement, dans "Nightmare Alley"), portée par un Christopher Waltz en ex-aristocrate et nouvel arnaqueur est un choix d'adaptation inspiré, par exemple. Les thèmes ne sont pas spécialement nouveaux pour Del Toro: mais la façon dont il les traite, sur cet espèce d'angle picaresque et satirique, est originale - nourrie d'ailleurs par des influences qui viennent rompre avec son style habituel, comme ce Mussolini qui débarque tout droit d'un cartoon de Tex Avery. Qui plus est, l'idée même d'avoir réalisé un film sur Pinocchio en faisant de tous les personnages des marionnettes en stop-motion est un concept qui frise le génie - et qui est évidemment particulièrement riche lorsqu'on veut parler de fascisme (modeler les hommes, tirer les ficelles, etc, etc).


Mais, comme toujours maintenant, le concept ne tient pas. Del Toro est un boulimique d'images, il veut tout faire tout de suite, et tombe immanquablement dans le trop-plein, sans que personne lui ai visiblement dit "non" à aucun moment de la production. Pourquoi est ce que ce film dont le coeur entier est consacré à cette difficile relecture de l'histoire commence et se termine sur des pans entiers qui sont essentiellement juste du Disney (mais avec une direction artistique)? Pourquoi, surtout, est-ce que personne n'a apparemment relu ce scénario calamiteux?


Ce script est incroyablement branlant, ce qui surprend d'autant plus qu'il est tout de même co-écrit par le créateur du très bon "Over the Garden Wall". Les effets les plus réussis du métrage (le parallèle entre Pinocchio et le Christ en croix, un moment brilliant) sont immédiatement sabordés par des dialogues qui vont les souligner. L'émotion ne peut jamais se matérialiser vraiment, parce qu'on lui tire dans les pieds avec des répliques ahurissantes de banalité: qu'un film en 2022 puisse sortir sans ironie aucune "les gens haïssent ce qu'ils ne comprennent pas", un cliché tellement énorme qu'il est interdit par la convention de Genève, c'est tout de même désolant. Le déroulé même de la narration se retrouve plombé par des incohérences grosses comme des camions: pourquoi est-ce que Ron Perlman veut soudainement buter Pinocchio après avoir insisté pendant tout le film qu'il est l'avenir de l'Italie? pourquoi est-ce que c'est précisément au moment au Pinocchio arrive dans le ventre de la baleine que le criquet trouve une sortie (pourtant bien en évidence) alors que lui et Gepetto sont là depuis des mois? Aberrant.


C'est représentatif de toute la carrière récente de Del Toro, en fait. Le talent est toujours là, mais miné constamment par une espèce de repli dans le territoire du déjà vu, du rassurant. Une paresse, en vérité, non seulement dans l'écriture (car oui, ce script est juste paresseux, pas d'autre mot) mais dans les ambitions. Dommage.



EustaciusBingley
5

Créée

le 12 déc. 2022

Modifiée

le 12 déc. 2022

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