« Get the fuck out of the water ! » JULIE FORESTER

En 2003, après avoir vendu leur film Haute Tension à Lionsgate, Alexandre Aja et Grégory Levasseur sont approchés par Dimension Films, qui leur propose de reprendre un script dormant sur la franchise Piranha. Dimension Films cherchait à revitaliser la franchise avec l’aide de jeunes talents. Alexandre Aja et Grégory Levasseur ont immédiatement été séduits par le concept : une attaque de piranhas préhistoriques pendant le Spring Break, ce qui promettait une combinaison explosive de chaos, horreur et hémoglobine.

Malheureusement, leur rencontre avec les producteurs ne s’est pas déroulée comme prévu. Les deux français, à l’époque encore méconnus aux États-Unis, ne se sont pas bien entendus avec les producteurs, peut-être en raison de divergences créatives ou de leur vision du film, qui ne correspondait pas à celle de Dimension Films. Le projet leur a donc échappé, et ils sont passés à d'autres opportunités.

En 2005, après que Dimension Films ait laissé le projet de côté, la société française Wild Bunch reprend les rênes pour relancer la franchise Piranha. Wild Bunch, connue pour sa capacité à financer des projets audacieux, choisit alors Chuck Russell comme réalisateur, un bon candidat pour revisiter un film d’horreur mêlé d’action.

Le scénario, quant à lui, est confié à Josh Stolberg et Pete Goldfinger. Leur script avait une approche qui rappelait Gremlins d’un certain Joe Dante, mais dans une version pour adultes. L'idée était d'injecter une dose d'humour noir, d'absurdité et de chaos, tout en conservant une violence graphique. À l'image de Gremlins, qui jouait sur l'ironie et la menace croissante de petites créatures incontrôlables, ce scénario aurait exploré des piranhas préhistoriques attaquant en masse, créant un cocktail de carnage et de folie dans un cadre de Spring Break, où la débauche et le chaos auraient amplifié l’effet dramatique.

L'objectif de Stolberg et Goldfinger était de pousser le concept vers une direction plus ludique et exagérée, en jouant sur le contraste entre la violence brute des attaques de piranhas et l'environnement festif et hédoniste des jeunes en vacances. Ce côté « Gremlins pour adulte » aurait mêlé horreur, gore, et une touche de comédie noire, rendant les piranhas presque caricaturaux, comme des créatures déchaînées qui provoquent des situations aussi grotesques que sanglantes.

Malheureusement la production est soudainement annulée. La raison ? Le budget du film était jugé trop onéreux pour un film de série B qui risquait de ne pas avoir un retour sur investissement suffisant. À cette époque, la tendance du cinéma de genre était de réaliser des films d’horreur avec des budgets beaucoup plus serrés, afin de maximiser la rentabilité. Le projet est donc mis en suspens, malgré la volonté de Wild Bunch de faire revivre la franchise.

En 2006, avant la sortie de The Hills have Eyes aux États-Unis, Alexandre Aja reçoit une proposition inattendue des producteurs de Dimension Films pour revenir sur le projet Piranha. Alexandre Aja, toujours enthousiaste à l’idée de revisiter le concept, discute avec les frères Bob Weinstein et Harvey Weinstein, qui étaient les nouveaux décisionnaires de Dimension Films à l’époque.

Lors de cette réunion, Alexandre Aja et Grégory Levasseur évoquent avec passion des scènes mémorables du script original qui les avaient excités, comme celle où une femme est attaquée par des piranhas alors qu’elle est en parachute. Cependant, ils constatent que les frères Weinstein semblent perplexes, ignorant visiblement les détails du script dont ils parlent. Il devient évident que Dimension Films n’était pas vraiment au fait du contenu du script initial que Alexandre Aja et Grégory Levasseur avaient trouvé si prometteur.

En réalité, les frères Weinstein avaient en leur possession le script de Josh Stolberg et Pete Goldfinger. Cette version déplaisait fortement aux français, notamment parce qu'elle se détournait de ce qu’ils avaient apprécié dans la version précédente. Face à cette situation, Alexandre Aja et Grégory Levasseur décident de réécrire partiellement le scénario eux-mêmes. Leur version se concentre sur une approche plus audacieuse et assumée du concept, pour y intégrer des éléments de gore et de comédie noire, tout en gardant l’esprit d’horreur ludique qu’ils avaient toujours voulu.

Alexandre Aja a exprimé que les frères Weinstein lui ont accordé une liberté créative notable sur le scénario et le tournage, mais les difficultés sont apparues lors de la phase de montage. Les frères Weinstein avaient une vision très précise de ce qu’ils voulaient pour le film : ils étaient impatients de voir les scènes gore, et se concentraient sur l’aspect spectaculaire et sanglant du film. Pour eux, l’élément central était de montrer le carnage de manière frappante, au détriment de la construction narrative.

Alexandre Aja, en revanche, croyait fermement qu'il était crucial pour le public de s'attacher aux personnages avant que la violence ne commence. Il pensait que si les spectateurs ne ressentaient pas une connexion émotionnelle avec les personnages, ils ne seraient pas affectés par leurs morts violentes, rendant les scènes gore moins importantes.

Finalement, cette tension a influencé le montage du film, avec des compromis nécessaires pour satisfaire les exigences des producteurs tout en essayant de conserver l'intégrité de la vision créative. Le résultat est donc Piranha 3D qui sort durant la rentrée scolaire 2010.

Le film débute par une scène avec Richard Dreyfuss, pêchant sur sa barque et qui se fait vite dévorer tout cru. Clin d’œil qui ne manque pas de piquant quand on sait que Richard Dreyfuss jouait l’océanographe de Jaws. Sans Steven Spielberg, grand spécialiste du bestiaire ravageur (requins, dinosaures, serpents venimeux, etc…), il n’y aurait sans doute jamais eu de Piranha en 1978. Sa première version, plagiat déviant de Jaws, on la doit à Joe Dante (encore lui !), âme damnée de Spielberg.

Le scénario est d’une simplicité réductrice nécessaire : un séisme fait remonter à la surface des piranhas préhistoriques. Voilà. Le scientifique du film interprété par Christopher Lloyd tente d’expliquer leur nature dans une scène explicative qui met en évidence le second degré ravageur de Alexandre Aja. Le professeur dispose d’un fossile des piranhas en question déjà bien en évidence ce qui évite de perdre du temps pour montrer le personnage en train de fouiller dans sa réserve. Mais on ne doute plus une seconde de ce second degré lorsque l’on voit deux piranhas discuter le bout de gras autour d’un pénis sectionné avant que l’un d’eux ne le recrache en rotant !

Le film est généreux dans sa distribution. On a déjà parlé de Richard Dreyfuss et Christopher Lloyd, mais il y a aussi Elisabeth Shue, Dina Meyer, Ving Rhames ou encore Eli Roth en présentateur de concours de t-shirts mouillés.

La palme revient à Jerry O’Connell et sa bande de pornstar : Sasha Grey, Kristina Rose ou encore Gina Lynn. L'apport de ces actrices au film est double. D'abord, elles attirent l’attention par leur notoriété dans le milieu du porno, ce qui ajoute une dimension de provocation et d'exploitation visuelle, attirant ainsi un public qui pourrait être curieux de voir comment ces figures du sexe s’intègrent dans un film d'horreur. Ensuite, leurs rôles contribuent à accentuer le côté déjanté et outrancier du film, avec des scènes de sexe et de gore qui visent à repousser les limites du bon goût et à provoquer des réactions extrêmes, tant par la comédie noire que par la violence graphique.

Alexandre Aja n'a pas hésité à proposer au réalisateur James Cameron d'apparaître dans son film étant donné qu’ils ont deux point commun. Premièrement, James Cameron a réalisé Piranha II : The Spawning et deuxièmement, ils travaillent tout les deux avec Neville Page qui a dessiné les piranhas et les Na’vis. Le voyant travailler sur les deux films, Alexandre Aja est passé par Neville Page pour demander à Cameron si il pouvait apparaître dans son film. Mais trop occupé sur son Avatar, fleuron de la 3D, James Cameron dut décliner l'offre.

L'utilisation de la 3D est notable dans les scènes de carnage, où les attaques des piranhas sont conçues pour sortir de l'écran et toucher le public de manière presque tactile. Les effets 3D permettent de donner une dimension supplémentaire aux jets de sang et aux attaques des créatures, accentuant le caractère spectaculaire et parfois grotesque des scènes. Les séquences de gore sont intensifiées par des éléments comme les morceaux de chair, les éclaboussures de sang et les parties du corps qui semblent se précipiter vers le spectateur.

Ce choix stylistique est en parfaite adéquation avec le ton délibérément exagéré et irrévérencieux du film. La 3D n'est pas seulement un ajout technique mais un outil essentiel pour accentuer le côté ludique et débridé de l'œuvre, faisant de chaque attaque de piranha un spectacle visuel à part entière.

La scène du Spring Break fonctionne non seulement comme un spectacle de carnage spectaculaire, mais elle peut aussi être vue comme une critique acerbe du mode de vie américain. Le Spring Break est présenté comme un moment où les jeunes américains se lâchent après des années de retenue et de conformisme. Cette explosion de liberté, de sexe et de comportements débridés contraste fortement avec leur vie quotidienne plus réglée et conventionnelle. Le film dépeint cette période comme une sorte de déchaînement ultime, un moment où toutes les inhibitions sont mises de côté, ce qui, au final, les rend vulnérables à la destruction.

Les piranhas, dans ce contexte, deviennent presque des agents de la justice, des forces de la nature qui punissent ce débordement de manière spectaculaire et sanglante. Ils semblent représenter une sorte de rétribution pour cette indulgence excessive, où la fête et le chaos sont condamnés par un retour brutal à la réalité. Le film joue sur cette dualité en exposant la superficialité du mode de vie de Spring Break. La violence et le carnage deviennent une forme de vengeance sur une culture qui célèbre l'excès et l’évasion, en contrastant fortement avec la vie rangée et ordonnée que les personnages reprennent ensuite. Ainsi, on peut voir les piranhas comme les instruments d'une forme de justice brute qui rétablit un certain équilibre, même si cela se fait de manière extrême et grotesque.

Piranha 3D est un mélange explosif de gore, de comédie noire et de satire mordante. Alexandre Aja transforme le concept de créatures préhistoriques attaquant un Spring Break en une expérience visuelle effervescente et provocatrice. Le film exploite avec brio les clichés de la culture américaine, en particulier le contraste entre l'excès du Spring Break et la vie quotidienne plus sobre. En combinant une 3D percutante avec des scènes de carnage exagérées et un humour irrévérencieux, Piranha 3D offre une critique acerbe de la superficialité et de l’indulgence, tout en se moquant joyeusement des excès du genre d’horreur. Le résultat est un divertissement viscéral et audacieux qui ne laisse personne indifférent.

StevenBen
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