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1975 : Jaws sort en salle et vient révolutionner le cinéma, entérinant la notion de blockbuster et donnant du grain à moudre à la critique traditionnelle qui refuse qu’un divertissement, aussi parfaitement maîtrisé soit-il, puisse être une œuvre d’art. La suite leur donne tort, et le requin de Spielberg dévaste tout sur son passage, jusqu’à amocher le tourisme balnéaire, et crée immanquablement des désireux qui ont bien l’intention de se tailler une part dans le filon de la terreur aquatique.
Dino de Laurentiis sort Orca en 1977, tandis que Roger Corman, pape de la série B chez qui nombre de grands noms feront leurs armes (Bogdanovich, Cameron, Coppola, Scorsese… et ici Joe Dante) investit les eaux douces avec son projet Piranha. Réaliser chez Corman se fait avec des avantages non négligeables. Si les budgets sont toujours très limités (700 000$ ici), on sait qu’ils ne bougeront pas et on peut donc faire avec sans craindre de coupes. Le producteur laisse donc le champ libre à ses cinéastes pour livrer le produit fini dans les temps et avec les sous alloués. Il ne vient pas souffler dans leur nuque, et leur laisse la liberté totale pour faire le film qu’ils désirent. Le terrain de jeu parfait pour un tout jeune Joe Dante qui va pouvoir expérimenter à foison pour rendre crédible son projet, et ira filouter pour obtenir des aides à moindre prix. En envoyant un script bidon à l’armée américaine pour qu’elle prête du matériel, quand bien même celle-ci sera finalement tournée au ridicule, par exemple.
Dante n’est pas dupe et sait qu’il est dans le territoire du repompage. Il l’affiche donc ouvertement dès sa scène post-prologue, ou une jeune américaine joue à la version arcade de Jaws. On ne se cache pas de ses ambitions, et pourtant, le cinéaste va réussir à insuffler sa propre identité dans le métrage et lui donner un caractère original. Un film avec une horreur très premier degré mais avec un constant décalage humoristique qui fait écho à la cinéphagie de Dante, bercé par le cinéma SF bis des 50s (cf Matinee). Une oeuvre à charge contre les instances de la société américaine, entre flics brutaux et incompétents, complots militaro-scientifiques qui font fi de la sécurité des citoyens, capitaliste aux dents longues (Dick Miller, fidèle acteur qui sera présent dans toute la carrière du réalisateur) qui se pose P.T. Barnum moderne… Tout le monde en prend pour son grade dans une série B qui dépasse ses moyens vétustes grâce à l’ingéniosité de Joe. Si on ne peut pas représenter les poissons de façon réaliste, on donne l’illusion par le montage et les points de vue.
Piranha est une franche réussite, tant et si bien que Spielberg lui-même adoubera le film, dissuadant Universal d’attaquer le film pour plagiat, et ne tardant pas à donner des projets à Joe Dante en qui il reconnaît un pair. Et pour le spectateur de 2024, il reste une petite friandise sacrément bien foutue, dont la suite signera les premiers faits d’armes de Cameron (qu’il va désavouer par la suite) et dont le remake sous forme de farce gorassse d’Alexandre Aja ravira les fans de bisseux potaches.