Pirate's Life
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Sur le point de se marier, Will Turner et Elizabeth Swann (Orlando Bloom et Keira Knightley) sont arrêtés par Lord Cutler Beckett (Tom Hollander), pour avoir aidé le pirate Jack Sparrow (Johnny Depp). En échange de leur liberté, Lord Beckett propose à Will de partir à la recherche d’un compas qui indique à son possesseur où se trouve ce qu’il désire le plus au monde. Or, ce compas se trouve en la possession de Jack Sparrow, qui, lui aussi, a des ennuis. En effet, ayant contracté une dette envers le pirate légendaire Davy Jones (Bill Nighy), commandant le mythique Hollandais Volant, il voit maintenant venir le moment où il doit payer cette dette de sa vie, ce dont il n’a pas tout-à-fait l’intention…
Il y a des suites que l’on fait pour l’argent, et des suites que l’on fait pour l’argent. La différence étant qu’un petit nombre d’entre elles réussissent à transcender leur motif purement financier, tandis qu’un grand nombre non.
Toutefois, dans le cas de Pirates des Caraïbes, il convient sans nul doute de nuancer le « purement financier » de la phrase précédente. Car de fait, on peine à croire que les prodigieux Ted Elliott et Terry Rossio aient pu être un seul instant forcés d’écrire cette suite tant ils se donnent tout entier dans ce nouveau volet de la plus grande saga cinématographique qui soit. Il en est de même pour l’immense Gore Verbinski qui retrouve ici avec un plaisir évident la saga qu’il a enfantée pour un diptyque enchanteur, plaisir qui se communique dès lors très logiquement au spectateur ébloui.
Ébloui, il y a mille raisons de l’être face à ce second volet tant il réussit à contourner tous les écueils de la suite ratée avec brio. Ne redisant jamais le premier épisode, s’amusant parfois à de brèves allusions, ce Secret du coffre maudit préfère plutôt creuser à fond la mythologie exposée à partir du film précédent. C’est avec un plaisir non dissimulé que l’on retrouve nos personnages préférés, et que l’on continue à en apprendre sur eux.
Mais là où Le Secret du coffre maudit se montre particulièrement brillant, c’est que si on en apprend davantage sur les personnages, on ne bascule jamais dans le récit des origines bourré de pathos et de flashbacks larmoyant. Ici, rien de tout ça : le passé des personnages se dévoile juste ce qu’il faut pour qu’on les discerne à chaque fois mieux sans pour autant qu’on s’attarde sur la formation des personnages. Car ce qui nous intéresse chez eux, ce n’est pas comment, ni pourquoi ils en sont arrivés là – piège incontournable du blockbuster contemporain –, c’est comment ils évoluent à partir du point où on les a connus. Et force est de reconnaître que la qualité d’écriture du duo Elliott-Rossio n’a rien perdu de sa superbe. Au contraire, elle s’est même renforcée et se manifeste ici à travers un des méchants les plus emblématiques et les mieux écrits qu’on n’ait jamais vu s’animer sur un écran.
Incarné par le géant trop méconnu Bill Nighy, Davy Jones incarne en effet le précepte d’Hitchcock selon lequel meilleur est le méchant, meilleur est le film. Antagoniste au physique aussi glaçant que mémorable, Davy Jones n’a rien d’une coquille vide : il se montre au contraire un personnage où s’entremêlent des émotions complexes auxquelles on s’identifie facilement, même en s’opposant à certaines d’entre elles.
Profitant du récit de piraterie, cet épisode s’ingénie d’ailleurs à effacer – mais de manière très subtile – les frontières ténues que l’on dresse souvent entre le bien et le mal. Autant, voire plus, que dans le premier volet, le spectacle nous donne à voir des personnages cherchant à agir pour le mieux, et faisant face aux conséquences de leurs actes, aussi terribles soient-elles. En cela, Pirates des Caraïbes est sans nul doute la saga contemporaine qui peut le mieux prétendre – et ce malgré son humour – à prendre la succession des tragédies grecques puis cornéliennes qui égrènent notre passé tant elle met en scène avec la réussite la plus totale le poids d’un inévitable destin qui pèse sur les épaules de personnages broyés mais combattifs.
Le génie narratif et dramatique de Gore Verbinski fait encore une fois merveille, le fond épousant à nouveau la forme en un mariage unique en son genre, afin de nous offrir un spectacle aussi beau que profond. Des décors somptueux de Rick Heinrichs et des effets spéciaux hallucinants de réalisme et de crédibilité (l'Oscar des meilleurs effets visuels est mérité) se dégage une poésie macabre et envoûtante, qui culmine dans quelques séquences inoubliables (le père contraint de donner le fouet à son fils, l’équipage du Hollandais volant trimant au son des grandes orgues de Davy Jones) et donne au film son identité, si à part des productions actuelles.
Encore une fois, ces décors constituent un magnifique écrin au sens de l’absurde qui se déploie ici dans toutes les directions. Absurde tragique, donc, mais aussi – c’est plus évident – absurde comique. Si Pirates des Caraïbes est le successeur de Sophocle et Racine, il est aussi celui de Buster Keaton et Louis de Funès, et c’est bien là son coup de génie. Faisant preuve d’un sens du burlesque à toute épreuve, parfois au cœur même de la tragédie, Le Secret du coffre maudit étonne par sa capacité à nous faire passer du rire aux larmes et des larmes au rire en un temps record.
Ce mélange d’absurde tragique et comique est d’ailleurs tout entier résumé dans la demi-heure finale, spectaculaire moment de cinéma où les talents conjoints de Verbinski, Elliott et Rossio, Wolski, Heinrichs, Zimmer et des acteurs se mêlent en une pièce d’orfèvre d'une complexité étonnante, comme rarement artisan cinématographique n’en avait sculptée.
La séquence d’action sur l’île des Quatre Vents, avec sa géniale impasse mexicaine, peut-être la meilleure jamais en images à l'écran, nous offre un immense morceau d’anthologie, notamment au travers de ce duel à trois virevoltant qui exploite l’espace comme jamais un film d’action ne l’avait fait. Intensément jusqu’au-boutiste dans sa conception, cette séquence qui met à bas tous les masques pour laisser agir les personnages dans toute leur horrible vérité meurtrit les zygomatiques par l’hilarité qui s’en dégage et émeut pourtant profondément par son sens inné du tragique, qui éclate dans la confrontation avec Davy Jones qui s’ensuit.
Cela ne serait rien si, bien sûr, tout terminait dans la lâcheté et la débandade. Mais non : ce n’est pas pour rien que Verbinski et ses scénaristes reprennent ici les codes du western, qu’ils mâtinent délicatement d’horreur.
De fait, tous les personnages marchent vers un aboutissement, qui est ici celui de l’héroïsme. C’est bien là la beauté du film : au-delà de la comédie et du film d’action, Pirates des Caraïbes est aussi un drame touchant qui examine les âmes dans leur plus éminente complexité afin d’en faire ressortir la grandeur. Et l’on comprend ainsi le véritable cœur du film : si ses personnages mentent, trahissent, se déshonorent, c’est justement parce qu’ils sont toujours rattrapés par leur sens de l’honneur, du courage, de la justice.
En formidable conteur et fabricant d’images qu’il est, Gore Verbinski nous dépeint en filigrane l’humanité à la fois dans ce qu’elle a de plus bas et de plus grand. D’autant que l’emploi des codes du western, et du western à la Leone, permet de situer l’intrigue dans un monde en pleine évolution – pour ne pas dire révolution – : en cela, lors Cutler Beckett semble tout droit sorti d’Il était une fois dans l’Ouest et est à rapprocher du futur Latham Cole de Lone Ranger. Tous deux incarnent la marche du monde vers le progrès, un progrès qui écrase nos personnages principaux et les forcent à s’allier afin de lutter pour leur survie et celle des valeurs de l’ancien monde qu’ils représentent.
Que l’on ne s’y trompe pas, l'auteur de ces lignes n’essaye pas ici de faire de Pirates des Caraïbes un film à la haute portée philosophique, mais simplement de le montrer comme ce qu’il est : un film vrai. Combien de blockbusters peuvent-ils y prétendre aujourd’hui ?
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Créée
le 16 mars 2016
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